Le nouveau pasteur du village d’Œst, passant un jour devant une ferme
dépendante de sa commune, mais située à l’écart au milieu des champs,
aperçut, assis sur un banc de pierre auprès de la porte, un vieillard en cheveux
blancs qui pleurait à chaudes larmes.
– Qu’avez-vous donc, pour vous désoler ainsi ? lui demanda avec intérêt
le bon pasteur.
– Hélas ! répondit en sanglotant le vieillard, je pleure parce que mon père
m’a battu !
Ces paroles, comme bien on pense, excitèrent au plus haut point
l’étonnement du vénérable pasteur. Il se hâta de descendre de cheval, et
d’entrer dans la maison. À peine franchissait-il le seuil, qu’il aperçut un autre
vieillard beaucoup plus âgé que le premier, et dont les traits annonçaient une
agitation violente.
– Qui peut vous émouvoir ainsi, mon père ? lui demanda avec intérêt le
bon pasteur.
– Ne m’en parlez pas ! répondit le vieillard encore tout tremblant de
colère ! est-ce que mon étourdi de fils n’a pas eu la maladresse de faire
tomber mon père !
Pour le coup, le bon pasteur ne voulait point croire ses oreilles, mais
il dut bien se rendre au témoignage de ses yeux qui, en se tournant vers
la cheminée, aperçurent assis dans un fauteuil au bord du feu un troisième
vieillard au dos tout voûté par l’âge mais d’un air encore vigoureux.
– À coup sûr, se dit le pasteur, ces hommes-là sont de la race des
patriarches ! ils n’auront pas fait d’excès dans leur jeunesse !