【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée II (3)
– Français et votre grand serviteur. Et vous, Mademoiselle, ou Madame,
vous êtes probablement de Cordoue ?
– Non.
– Vous êtes du moins Andalouse. Il me semble le reconnaître à votre doux
parler.
– Si vous remarquez si bien l’accent du monde, vous devez bien deviner
qui je suis.
– Je crois que vous êtes du pays de Jésus, à deux pas du paradis.
(J’avais appris cette métaphore, qui désigne l’Andalousie, de mon ami
Francisco Sevilla, picador bien connu.)
– Bah ! le paradis... les gens d’ici disent qu’il n’est pas fait pour nous.
– Alors, vous seriez donc Mauresque, ou... je m’arrêtai, n’osant dire
Juive.
– Allons, allons ! vous voyez bien que je suis Bohémienne ; voulez-vous
que je vous dise la baji ? Avez-vous entendu parler de la Carmencita ? C’est
moi.
J’étais alors un tel mécréant, il y a de cela quinze ans, que je ne reculai pas
d’horreur en me voyant à côté d’une sorcière. – Bon ! me dis-je ; la semaine
passée, j’ai soupé avec un voleur de grands chemins, allons aujourd’hui
prendre des glaces avec une servante du diable. En voyage il faut tout voir.
J’avais encore un autre motif pour cultiver sa connaissance. Sortant du
collège, je l’avouerai à ma honte, j’avais perdu quelque temps à étudier les
sciences occultes et même plusieurs fois j’avais tenté de conjurer l’esprit de
ténèbres. Guéri depuis longtemps de la passion de semblables recherches,
je n’en conservais pas moins un certain attrait de curiosité pour toutes les
superstitions, et me faisais une fête d’apprendre jusqu’où s’était élevé l’art
de la magie parmi les Bohémiens.