【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (31)
Il se lança sur moi comme un trait ; je tournai sur le pied gauche, et il ne
trouva plus rien devant lui ; mais je l’atteignis à la gorge, et le couteau entra
si avant, que ma main était sous son menton. Je retournai la lame si fort,
qu’elle se cassa. C’était fini. La lame sortit de la plaie lancée par un bouillon
de sang gros comme le bras. Il tomba sur le nez raide comme un pieu. –
Qu’as-tu fait ? me dit le Dancaïre. – Écoute, lui dis-je : nous ne pouvions pas
vivre ensemble. J’aime Carmen, et je veux être seul. D’ailleurs, Garcia était
un coquin, et je me rappelle ce qu’il a fait au pauvre Remendado. Nous ne
sommes plus que deux, mais nous sommes de bons garçons. Voyons, veux-
tu de moi pour ami, à la vie, à la mort ? – Le Dancaïre me tendit la main.
C’était un homme de cinquante ans. – Au diable les amourettes ! s’écria-t-il.
Si tu lui avais demandé Carmen, il te l’aurait vendue pour une piastre. Nous
ne sommes plus que deux ; comment ferons-nous demain ? – Laisse-moi
faire tout seul, lui répondis-je. Maintenant je me moque du monde entier.
Nous enterrâmes Garcia, et nous allâmes placer notre camp deux cents
pas plus loin. Le lendemain, Carmen et son Anglais passèrent avec deux
muletiers et un domestique. Je dis au Dancaïre : Je me charge de l’Anglais.
Fais peur aux autres, ils ne sont pas armés. L’Anglais avait du cœur. Si
Carmen ne lui eût poussé le bras, il me tuait. Bref, je reconquis Carmen ce
jour-là, et mon premier mot fut de lui dire qu’elle était veuve. Quand elle
sut comment cela s’était passé : Tu seras toujours un lillipendi ! me dit-elle.
Garcia devait te tuer. Ta garde navarraise n’est qu’une bêtise, et il en a mis
à l’ombre de plus habiles que toi. C’est que son temps était venu. Le tien
viendra. – Et le tien, répondis-je, si tu n’es pas pour moi une vraie romi. –
À la bonne heure, dit-elle ; j’ai vu plus d’une fois dans du marc de café que
nous devions finir ensemble. Bah ! arrive qui plante ! Et elle fit claquer ses
castagnettes, ce qu’elle faisait toujours quand elle voulait chasser quelque
idée importune.