【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (39)
– Oui, je l’ai aimé, comme toi, un instant, moins que toi peut-être. À
présent, je n’aime plus rien, et je me hais pour t’avoir aimé.
Je me jetai à ses pieds, je lui pris les mains, je les arrosai de mes larmes. Je
lui rappelai tous les moments de bonheur que nous avions passés ensemble.
Je lui offris de rester brigand pour lui plaire.
Tout, Monsieur, tout ; je lui offris tout, pourvu qu’elle voulût m’aimer
encore.
– Elle me dit : – T’aimer encore, c’est impossible. Vivre avec toi, je ne
le veux pas. – La fureur me possédait. Je tirai mon couteau. J’aurais voulu
qu’elle eût peur et me demandât grâce, mais cette femme était un démon.
– Pour la dernière fois, m’écriai-je, veux-tu rester avec moi ?
– Non ! non ! non ! dit-elle en frappant du pied, et elle tira de son doigt
une bague que je lui avais donnée, et la jeta dans les broussailles.
Je la frappai deux fois. C’était le couteau du Borgne que j’avais pris, ayant
cassé le mien. Elle tomba au second coup sans crier. Je crois voir encore son
grand œil noir me regarder fixement ; puis il devint trouble et se ferma. Je
restai anéanti une bonne heure assis devant ce cadavre. Puis, je me rappelai
que Carmen m’avait dit souvent qu’elle aimerait à être enterrée dans un bois.
Je lui creusai une fosse avec mon couteau, et je l’y déposai. Je cherchai
longtemps sa bague, et je la trouvai à la fin. Je la mis dans la fosse auprès
d’elle, avec une petite croix. Peut-être ai-je eu tort. Ensuite je montai sur
mon cheval, je galopai jusqu’à Cordoue, et au premier corps de garde je me
fis connaître. J’ai dit que j’avais tué Carmen ; mais je n’ai pas voulu dire où
était son corps. L’ermite était un saint homme. Il a prié pour elle ! Il a dit une
messe pour son âme... Pauvre enfant ! Ce sont les Calé qui sont coupables
pour l’avoir élevée ainsi.