【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (9)
Un jour, le geôlier entre, et me donne un pain d’Alcalá. – Tenez, dit-
il, voilà ce que votre cousine vous envoie. Je pris le pain, fort étonné, car
je n’avais pas de cousine à Séville. C’est peut-être une erreur, pensai-je en
regardant le pain ; mais il était si appétissant, il sentait si bon, que, sans
m’inquiéter de savoir d’où il venait et à qui il était destiné, je résolus de le
manger. En voulant le couper, mon couteau rencontra quelque chose de dur.
Je regarde, et je trouve une petite lime anglaise qu’on avait glissée dans la
pâte avant que le pain fût cuit. Il y avait encore dans le pain une pièce d’or de
deux piastres. Plus de doute alors, c’était un cadeau de Carmen. Pour les gens
de sa race, la liberté est tout, et ils mettraient le feu à une ville pour s’épargner
un jour de prison. D’ailleurs, la commère était fine, et avec ce pain-là on
se moquait des geôliers. En une heure, le plus gros barreau était scié avec
la petite lime, et avec la pièce de deux piastres, chez le premier fripier, je
changeais ma capote d’uniforme pour un habit bourgeois. Vous pensez bien
qu’un homme qui avait déniché maintes fois des aiglons dans nos rochers ne
s’embarrassait guère de descendre dans la rue d’une fenêtre haute de moins
de trente pieds ; mais je ne voulais pas m’échapper. J’avais encore mon
honneur de soldat, et déserter me semblait un grand crime. Seulement, je fus
touché de cette marque de souvenir. Quand on est en prison, on aime à penser
qu’on a dehors un ami qui s’intéresse à vous. La pièce d’or m’offusquait un
peu, j’aurais bien voulu la rendre ; mais où trouver mon créancier ? cela ne
me semblait pas facile.