【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (10)
Après la cérémonie de la dégradation, je croyais n’avoir plus rien à
souffrir ; mais il me restait encore une humiliation à dévorer : ce fut à ma
sortie de prison, lorsqu’on me commanda de service et qu’on me mit en
faction comme un simple soldat. Vous ne pouvez vous figurer ce qu’un
homme de cœur éprouve en pareille occasion. Je crois que j’aurais aimé
autant à être fusillé. Au moins on marche seul en avant de son peloton ; on
se sent quelque chose ; le monde vous regarde.
Je fus mis en faction à la porte du colonel. C’était un jeune homme riche,
bon enfant, qui aimait à s’amuser. Tous les jeunes officiers étaient chez lui,
et force bourgeois, des femmes aussi, des actrices, à ce qu’on disait. Pour
moi, il me semblait que toute la ville s’était donné rendez-vous à sa porte
pour me regarder. Voilà qu’arrive la voiture du colonel, avec son valet de
chambre sur le siège. Qu’est-ce que je vois descendre ?... La Gitanilla. Elle
était parée, cette fois, comme une châsse, pomponnée, attifée, tout or et tout
rubans. Une robe à paillettes, des souliers bleus à paillettes aussi, des fleurs
et des galons partout. Elle avait un tambour de basque à la main. Avec elle
il y avait deux autres Bohémiennes, une jeune et une vieille. Il y a toujours
une vieille pour les mener, puis un vieux avec une guitare, Bohémien aussi,
pour jouer et les faire danser. Vous savez qu’on s’amuse souvent à faire venir
des Bohémiennes dans les sociétés, afin de leur faire danser la romalis, c’est
leur danse, et souvent bien autre chose.