【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (8)
Mes premiers jours de prison se passèrent fort tristement. En me faisant
soldat, je m’étais figuré que je deviendrais tout au moins officier. Longa,
Mina, mes compatriotes, sont bien capitaines-généraux ; Chapalangarra,
qui est un negro comme Mina, et réfugié comme lui dans votre pays,
Chapalangarra était colonel, et j’ai joué à la paume vingt fois avec son frère,
qui était un pauvre diable comme moi. Maintenant je me disais : Tout le
temps que tu as servi sans punition, c’est du temps perdu. Te voilà mal noté ;
pour te remettre bien dans l’esprit des chefs, il te faudra travailler dix fois
plus que lorsque tu es venu comme conscrit ! Et pourquoi me suis-je fait
punir ? Pour une coquine de Bohémienne qui s’est moquée de moi, et qui,
dans ce moment, est à voler dans quelque coin de la ville. Pourtant je ne
pouvais m’empêcher de penser à elle. Le croiriez-vous, Monsieur ? ses bas
de soie troués qu’elle me faisait voir tout en plein en s’enfuyant, je les avais
toujours devant les yeux. Je regardais par les barreaux de la prison dans la
rue, et, parmi toutes les femmes qui passaient, je n’en voyais pas une seule
qui valût cette diable de fille-là. Et puis, malgré moi, je sentais la fleur de
cassie qu’elle m’avait jetée, et qui, sèche, gardait toujours sa bonne odeur...
S’il y a des sorcières, cette fille-là en était une !