【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (7)
– Si je vous poussais, et si vous tombiez, mon pays, reprit-elle en basque,
ce ne seraient pas ces deux conscrits de Castillans qui me retiendraient...
Ma foi, j’oubliai la consigne et tout, et je lui dis :
– Eh bien ! m’amie, ma payse, essayez, et que Notre-Dame de la
Montagne vous soit en aide ! – En ce moment, nous passions devant une de
ces ruelles étroites comme il y en a tant à Séville. Tout à coup Carmen se
retourne et me lance un coup de poing dans la poitrine. Je me laissai tomber
exprès à la renverse. D’un bond, elle saute par-dessus moi et se met à courir
en nous montrant une paire de jambes !... On dit jambes de Basque : les
siennes en valaient bien d’autres... aussi vites que bien tournées. Moi, je
me relève aussitôt, mais je mets ma lance en travers, de façon à barrer la
rue, si bien que, de prime abord, les camarades furent arrêtés au moment de
la poursuivre. Puis je me mis moi-même à courir, et eux après moi ; mais
l’atteindre ! il n’y avait pas de risque, avec nos éperons, nos sabres et nos
lances ! En moins de temps que je n’en mets à vous le dire, la prisonnière
avait disparu. D’ailleurs, toutes les commères du quartier favorisaient sa
fuite, et se moquaient de nous, et nous indiquaient la fausse voie. Après
plusieurs marches et contremarches, il fallut nous en revenir au corps de
garde sans un reçu du gouverneur de la prison.
Mes hommes, pour n’être pas punis, dirent que Carmen m’avait parlé
basque, et il ne paraissait pas trop naturel, pour dire la vérité, qu’un coup
de poing d’une tant petite fille eût terrassé si facilement un gaillard de ma
force. Tout cela parut louche, ou plutôt trop clair. En descendant la garde, je
fus dégradé et envoyé pour un mois à la prison. C’était ma première punition
depuis que j’étais au service. Adieu les galons de maréchal-des-logis que je
croyais déjà tenir !