Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe
Je tournai les yeux du côté du vaisseau qui avait échoué, mais il était à
une si grande distance que c’est à peine si je pouvais le voir. « Grand Dieu,
m’écriai-je, comment est-il possible que je sois venu à terre ! »
Puis, je regardai tout autour de moi pour voir en quel lieu j’étais. La joie
de me sentir sauvé s’assombrit bientôt car j’étais mouillé et je n’avais point
d’habits pour me changer ; j’avais faim et je n’avais rien à manger ; j’avais
soif et je n’avais rien à boire. J’étais faible et je n’avais rien pour me fortifier.
Je n’imaginais pas ce qu’il pourrait advenir de moi, sinon que je mourrais de
faim ou serais la proie des bêtes féroces. Je n’avais pas d’arme pour chasser
ou me défendre ; je n’avais rien sur moi, si ce n’est un couteau. L’avenir
m’apparut si redoutable que, pendant quelque temps, je courus de tous côtés
comme un insensé.
L’approche de la nuit augmentait encore mon effroi. Enfin, je décidai
de dormir sur un certain arbre que je découvris dans le voisinage, arbre
semblable à un sapin, mais au feuillage épineux et fort épais.
Comme j’étais extrêmement fatigué, je tombai vite dans un profond
sommeil qui répara si bien mes forces que je crois n’en avoir jamais eu de
meilleur.
Il faisait grand jour lorsque je m’éveillai. Le temps était clair, la tempête
dissipée et la mer n’était plus courroucée. Je fus tout étonné de voir que la
marée nocturne avait soulevé le vaisseau du banc de sable où il avait échoué
et l’avait fait dériver jusque près du rocher contre lequel les flots m’avaient
jeté. Il y avait environ un mille de l’endroit où j’étais jusque-là. Comme le
bâtiment paraissait encore reposer sur sa quille, j’aurais bien souhaité être
à bord afin de pouvoir en tirer pour mon usage quelques-unes des choses
les plus nécessaires.