Pendant plusieurs jours, mon esprit ne fut pas occupé d’autre chose
que de l’endroit propice à y transporter ma demeure. Cependant, quand je
regardais le bel ordre où j’avais mis toutes choses, quand je réfléchissais
combien j’étais agréablement caché, combien j’avais peu à craindre les
irruptions, j’éprouvais beaucoup de répugnance à déménager. D’autre part,
je me représentais tout le temps qu’il me faudrait pour édifier de nouveaux
ouvrages, si bien que je résolus à la fois de me mettre à l’œuvre pour
entreprendre des constructions nouvelles et d’attendre, pour déloger, que
mon nouveau travail fût complètement achevé.
Dès le matin du 22 avril je songeai aux moyens d’exécuter mon dessein,
mais j’étais fort mal servi par mes outils. J’avais bien trois grandes besaiguës
et un grand nombre de haches ; malheureusement, ces instruments, à force
de charpenter et de couper du bois dur et noueux, avaient le tranchant tout
édenté et émoussé.
Je possédais bien, il est vrai, une pierre à aiguiser, mais je ne savais pas
comment la faire tourner pour m’en servir. Je cherchai longtemps, et, à la
fin, pour donner le mouvement à la pierre avec mon pied et garder mes
deux mains libres, j’imaginai une roue attachée à un cordon. Il faut noter
que je n’avais jamais vu une telle invention en Angleterre, bien qu’elle y
fût d’un usage courant. Mais ma pierre était si grosse et si lourde que cette
machine me coûta une semaine entière de travail pour l’achever. Cependant,
je parvins à la rendre si parfaite qu’elle fonctionna à merveille pendant les
deux jours que je passai ensuite à aiguiser mes outils.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe