VII
L’île tremble et
Robinson réfléchit
Ce jour-là, je crus voir s’écrouler tous mes travaux et je pensai moi-même
perdre la vie. Comme j’étais occupé derrière ma tente, je fus tout à coup
épouvanté de voir que la terre s’éboulait du haut de ma voûte et de la cime du
rocher qui pendait sur ma tête. Deux des piliers que j’avais placés dans ma
caverne craquèrent horriblement. Ne sachant point quelle était la cause de
cela et craignant d’être enterré vif, je m’enfuis au plus vite vers mon échelle
et, ne m’y croyant pas encore en sûreté, je passai par-dessus ma muraille.
À peine avais-je le pied à terre de l’autre côté de ma palissade que je vis
clairement qu’il y avait un tremblement de terre horrible. Trois fois le terrain
où j’étais trembla sous mes pieds. Entre chaque reprise il y eut un intervalle
d’environ huit minutes et les trois secousses furent si prodigieuses que tout
le côté d’un rocher situé environ à un demi-mille de moi tomba avec un bruit
qui égalait celui du tonnerre.
La frayeur glaçait mon sang dans mes veines, mais, au bout de quelque
temps, voyant que les trois premières secousses n’étaient suivies d’aucune
autre, je commençai à reprendre courage sans encore oser toutefois rentrer
dans mon habitation. Je demeurais assis à terre, incertain du parti que je
devais prendre.
Tout à coup, je vis le ciel s’obscurcir, puis le vent s’éleva et un ouragan
furieux se déchaîna. La mer fut démontée par une tempête sauvage qui dura
environ trois heures, après quoi, le calme revint et la pluie se mit à tomber
à torrents. Il continua de pleuvoir toute la nuit et une partie du lendemain,
tellement qu’il n’y eut pas moyen de mettre le pied dehors. J’employai ce
temps à réfléchir, me disant que si l’île était sujette à des tremblements, il
ne fallait point établir ma demeure dans une caverne, mais songer à me bâtir
une cabane dans un lieu découvert et dégagé où je me protégerais à l’aide
d’une muraille comme la première.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe