Il y avait un autre arbre, revêtu d’un petit buisson, plus près encore du
lieu de leur festin. J’avançai jusque-là et vis qu’il n’y avait pas un instant
à perdre, car ils étaient déjà occupés à délier les pieds du pauvre Européen
pour le préparer et le dévorer. Je me tournai alors vers Vendredi et lui dis :
« Suis mes ordres exactement, fais ce que tu me verras faire sans la
moindre faute. »
Il me le promit. Je pris mon mousquet et mis les sauvages en joue en lui
ordonnant d’en faire autant.
« Es-tu prêt ? lui dis-je.
– Oui, répondit-il » et en même temps nous fîmes feu l’un et l’autre.
Vendredi avait visé si juste qu’il en tua deux et en blessa trois. Pour moi,
je n’en blessai que deux et n’en tuai qu’un. Mais on peut aisément imaginer
l’épouvante des sauvages. Tous ceux qui n’étaient pas blessés se levèrent
précipitamment sans savoir de quel côté tourner leurs pas pour éviter le
danger dont ils ne devinaient pas la source. Mais, bientôt, ils prirent la fuite
du côté de la mer, se jetant dans leurs canots et abandonnant leur prisonnier.
Je m’avançai vers le malheureux, le délivrai et lui demandai en portugais
qui il était. Il me répondit en latin « Christianus » d’une voix si faible que
je lui donnai à boire et à manger pour le réconforter. Après avoir un peu
repris ses esprits, il me fit comprendre qu’il était Espagnol et qu’il m’avait
une grande reconnaissance.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe