Je cherchai un détour pour venir de l’autre côté de la baie et pour
gagner le bois afin d’avoir les cannibales à portée de fusil avant qu’ils ne
m’eussent découvert. J’y parvins aisément, et entrai dans le bois avec toutes
les précautions et tout le silence possible, ayant Vendredi sur mes talons. Je
m’avançai jusqu’à ce qu’il n’y eût plus qu’une petite pointe du bois entre
les sauvages et nous.
Apercevant alors un arbre fort élevé, j’appelai Vendredi tout doucement
et lui ordonnai de monter jusqu’à la cime pour découvrir à quoi les
sauvages s’occupaient. Il le fit et vint bientôt me rapporter qu’on les voyait
distinctement, qu’ils étaient autour de leur feu, se régalant de la chair d’un
de leurs prisonniers. Il ajouta qu’il avait vu un autre prisonnier garrotté et
étendu sur le sable et que ce dernier n’était pas de leur nation, mais que
c’était un des hommes barbus qui s’étaient sauvés dans son pays avec une
chaloupe. Je m’avançai vers l’arbre moi-même et aperçus en effet un homme
blanc couché sur le sable, les mains et les pieds liés. Les habits dont il était
couvert ne me laissèrent pas douter un instant qu’il était bien un Européen.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe