Je commençai alors à me repentir d’avoir percé ma caverne si avant, et de
lui avoir donné une sortie à l’endroit où ma fortification joignait le rocher.
Pour remédier à cela, je résolus de me faire un second retranchement, à
quelque distance de mon rempart, exactement là où douze ans auparavant
j’avais planté une double rangée d’arbres. Je les avais mis si serrés qu’il
ne me fallait qu’un petit nombre de palissades entre eux pour en faire une
fortification suffisante.
De cette manière, j’étais retranché dans deux remparts : celui de dehors
était rembarré de pièces de bois, de vieux câbles et de tout ce que j’avais
estimé propre à le renforcer. Je le rendis épais de plus de dix pieds à force d’y
apporter de la terre et de lui donner de la consistance en marchant dessus.
J’y fis cinq ouvertures, assez larges pour y passer le bras, dans lesquelles
je mis les cinq mousquets que j’avais tirés du vaisseau et je les plaçai, en
guise de canons, sur des espèces d’affûts, de telle manière que je pouvais, en
deux minutes, faire feu de toute mon artillerie. Au bout de quelques mois,
cet ouvrage étant achevé, je plantai, sur un grand espace de terre hors du
rempart, des rejetons d’un bois semblable à l’osier. Je crois qu’en une seule
année j’en fichai en terre plus de vingt mille, laissant un vide assez grand
entre ces bois et mon rempart afin de pouvoir découvrir l’ennemi s’il venait
à me dresser des embûches au milieu de ces jeunes arbres.
Deux ans après, ils formaient déjà un bocage épais. Au bout de six ans,
j’avais devant ma demeure une forêt d’une telle épaisseur et d’une si grande
force qu’elle était absolument impénétrable et que personne n’aurait pu
supposer qu’elle cachât la retraite d’une créature humaine.
Daniel Defoe