Avant de m’endormir, je songeai à toutes les choses qui me seraient
encore utiles, par exemple des cordages et des voiles, et je résolus de faire
un autre voyage à bord, et cela le plus vite possible sachant bien que la
première tourmente briserait le bâtiment en mille pièces. Je décidai d’aller
le lendemain, comme la première fois, quand la marée serait basse. Je me
dévêtis avant de sortir de ma hutte, ne gardant sur moi qu’une chemise
déchiquetée, des caleçons et une paire d’escarpins aux pieds. Puis je me
rendis au vaisseau et j’y préparai un second train. J’emportai plusieurs
choses précieuses : deux ou trois sacs pleins de clous et de pointes, une
grande tarière, une douzaine de haches et une pierre à aiguiser. Je mis à part
tout cela avec deux ou trois leviers de fer, sept mousquets, un fusil de chasse,
une petite addition de poudre. Outre ces choses, j’enlevai tous les habits que
je pus trouver avec une voile de surcroît du perroquet de mizaine, un matelas
et quelques couvertures. Je chargeai le tout sur mon radeau et le conduisis
à terre avec un succès qui me réconforta.
Je craignais, à mon retour, de voir les provisions que j’avais laissées
dévorées par les bêtes, mais heureusement je les retrouvai intactes. J’aperçus
seulement un animal semblable à un chat sauvage, assis sur un des coffres.
Me voyant approcher, il s’enfuit à quelques pas de là, puis s’arrêta tout court.
Il ne paraissait nullement effrayé et me regardait fixement. Je lui présentai
le bout de mon fusil mais, comme il ne savait pas de quoi il s’agissait,
il ne manifesta aucune crainte et n’essaya même pas de prendre la fuite.
Voyant cela, je lui jetai un petit morceau de biscuit bien que je n’en fusse pas
prodigue car ma provision n’était pas bien grosse. Il s’en approcha aussitôt,
le flaira et l’avala. Bref, il prit si bien la chose qu’il me fit comprendre par
son air de contentement qu’il était disposé à en accepter davantage, mais je
ne renouvelai pas mon offrande et, voyant qu’il ne recevait plus rien, il prit
congé de moi.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe