nul besoin. J’eus d’abord envie de le jeter au fond de la mer, puis, je me
ravisai, et, prenant cette somme avec les autres ustensiles que j’avais trouvés
dans l’armoire, j’empaquetai le tout dans un morceau de canevas. Je pensais
à faire mon radeau quand je m’aperçus que le ciel se couvrait et qu’il
commençait à fraîchir. Au bout d’un quart d’heure un vent venant de la
côte se mit à souffler si fort que je décidai de rentrer le plus promptement
possible, c’est-à-dire à la nage, si je ne voulais pas m’exposer à dire pour
toujours adieu à la terre. Ce retour ne se fit pas sans peine tant à cause du
poids des choses que je portais qu’en raison de l’agitation de la mer, mais
j’abordai sans malheur.
Quand l’orage se déchaîna, j’étais déjà à l’abri chez moi, posté dans ma
tente au milieu de mes richesses. Il fit un gros temps toute la nuit et le matin,
quand je voulus regarder en mer, je ne vis plus le vaisseau. Je m’en consolai
en pensant que je n’avais point perdu de temps et que je n’avais épargné ni
soin ni peine pour en tirer ce qui pouvait m’être de quelque utilité.
Je ne songeai bientôt plus qu’à me mettre en sûreté contre les sauvages
qui pourraient venir ou bien contre les bêtes féroces, à supposer qu’il y en
eût dans l’île. Il me passait dans l’esprit toutes sortes d’idées différentes sur
l’espèce d’habitation que je construirais. Je ne savais ni si je me creuserais
une cave, ni si je me dresserais une tente et en fin de compte, je résolus
d’avoir l’une et l’autre.
J’avais d’abord reconnu que la place où j’étais ne conviendrait pas pour
ma demeure définitive : en premier lieu parce que le terrain était baset
marécageux, et que j’avais sujet de croire qu’il n’était pas sain ; en second
lieu parce qu’il n’y avait point d’eau douce près de là. C’est pourquoi je pris
le parti de chercher un endroit plus convenable. Le terrain que je choisirais
devait répondre à plusieurs conditions : la première était de renfermer de
l’eau potable ; la seconde de m’abriter des ardeurs du soleil ; la troisième de
me garantir contre les attaques soit des hommes, soit des bêtes ; la quatrième
d’avoir vue sur la mer afin que si quelque vaisseau venait à passer à ma
portée je pus tout mettre en œuvre pour favoriser ma délivrance.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe