C’est dans ce retranchement, ou, si vous voulez, dans cette forteresse, que
je transportai mes provisions, mes munitions, en un mot toutes les richesses
dont j’ai donné un compte détaillé et fidèle. J’y établis une grande tente,
que je fis double, pour me garantir des pluies qui sont excessives dans cette
région pendant un certain temps de l’année. Je dressai donc premièrement
une tente moyenne ; puis, secondement, une plus grande par-dessus et,
ensuite, je couvris le tout d’une toile goudronnée que j’avais sauvée avec
les voiles.
Je portai sous cet abri toutes les provisions que la pluie aurait pu
endommager. Après quoi, je commençai à creuser bien avant dans le roc,
jetant la terre et les pierres que j’en tirais au pied de la palissade. Il en résulta
une sorte de terrasse qui éleva le terrain d’environ un pied et demi et c’est
ainsi que je me fis une caverne qui était comme le cellier de ma maison situé
exactement derrière ma tente.
Je poursuivais ce travail avec ardeur lorsqu’un violent orage se déchaîna.
En voyant les éclairs, je songeai tout à coup que toute ma poudre pourrait
sauter en un instant. Aussi, je suspendis immédiatement mes fortifications
et mes travaux pour m’appliquer uniquement à protéger ma poudre et je me
mis à faire des sacs et des boîtes pour la répartir. Ces paquets étant dispersés,
l’un ne risquerait pas de faire prendre feu à l’autre et je ne serais pas exposé à
perdre toute ma poudre à la fois. Je mis bien quinze jours à finir cet ouvrage
et je crois que ma poudre, dont la quantité montait à environ cent quarante
livres, ne fut pas divisée en moins de cent paquets que je cachai dans les
trous du rocher où je n’avais remarqué aucune trace d’humidité.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe