un chien dont l’histoire est mêlée à la mienne. J’emportai les deux chats
avec moi ; quant au chien, il sauta lui-même du vaisseau dans la mer et
vint me trouver à terre le lendemain du jour où j’amenai ma première
cargaison. Pendant plusieurs années, il remplit auprès de moi les fonctions
d’un serviteur et d’un camarade fidèle. Il ne me laissait jamais manquer de
ce qu’il était capable d’aller chercher et il employait toutes les finesses de
l’instinct pour me tenir bonne compagnie. Il n’y a qu’une seule chose que
j’aurais fort désiré mais à laquelle je ne pus parvenir, c’était de le faire parler.
J’ai raconté comment j’avais renfermé tous mes effets dans mon enclos
et dans la cave. Mais au début, tout cela n’était encore qu’un tas confus
de meubles et d’outils qui, faute d’être bien rangés, tenaient tant de place
qu’il ne m’en restait pas pour me remuer. C’est pourquoi je me mis à élargir
ma caverne et, tout en creusant, je parvins à me faire jour à travers le
rocher et à pouvoir sortir par une porte indépendante de ma palissade et de
mes fortifications. Je gagnai assez d’espace pour songer à placer quelques
meubles, c’est pourquoi je m’appliquai à fabriquer ceux qui m’étaient les
plus indispensables. Je commençai par une chaise et une table, mais je
n’avais jamais rien fait de semblable. Cependant, par mon travail, par mon
application, par mon industrie, j’acquis tant d’habileté que j’aurais pu, je
crois, faire toutes les choses qui me manquaient si j’avais eu seulement les
outils nécessaires. Même sans outils, avec le seul secours d’une hache et
d’un rabot, je vins à bout de plusieurs ouvrages. Si, par exemple, je voulais
avoir une planche, je n’avais d’autre moyen que celui de couper un arbre, le
poser devant moi, le tailler des deux côtés pour le rendre suffisamment mince
et l’aplanir ensuite avec mon rabot. Il est bien vrai que, par cette méthode,
je ne pouvais faire qu’une seule planche d’un arbre entier, mais il n’y avait
à cela d’autre remède que la patience.
Je fis donc tout d’abord ma chaise et ma table, mais en utilisant, pour
cela, les morceaux de planches que j’avais amenées du vaisseau sur mon
radeau. Ensuite, pour économiser ma réserve, je fis d’autres planches selon
le moyen que j’ai indiqué plus haut et je les plaçai l’une au-dessus de l’autre
tout le long d’un côté de ma caverne pour y mettre mes outils, mes clous, ma
ferraille, en un mot, pour ranger toutes choses et les retrouver plus aisément.
Puis, j’enfonçai des chevilles dans la muraille du rocher pour pendre mes
fusils et tout ce qui pouvait être suspendu.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe