loin je vis qu’au-delà des prairies la campagne commençait à être couverte
de bois. Je trouvai là plusieurs sortes de fruits et particulièrement des melons
qui couvraient la terre, des raisins qui pendaient sur les arbres et dont la
grappe riante et pleine était prête pour la vendange. Cette découverte me
causa autant de surprise que de joie. Mais je voulus modérer mon appétit et
j’eus l’idée de préparer ce fruit d’une manière excellente en le faisant sécher
au soleil après l’avoir coupé, pour le garder comme on garde en Europe ce
qu’on appelle les raisins secs.
Je passai là toute la journée, et, sur le tard, je ne jugeai pas à propos de
rentrer au logis. La nuit étant venue, je choisis un logement tout semblable à
celui qui m’avait abrité à mon premier abord dans l’île : un arbre bien touffu
sur lequel je m’installai commodément et dormis d’un profond sommeil. Le
lendemain matin, je continuai ma découverte en marchant près de quatre
milles. J’arrivai alors dans une contrée si tempérée, si verte, si fleurie, qu’on
l’aurait prise pour un véritable jardin : il était aisé de voir qu’il y régnait un
printemps perpétuel. J’y vis une grande quantité de cacaoyers, d’orangers, de
limoniers, de citronniers, qui tous étaient sauvages mais portaient cependant
des fruits fort agréables.
Voyant une telle abondance, j’eus l’idée de faire une ample cueillette en
prévision de la saison pluvieuse dont je devinais l’approche.
Je récoltai une grande quantité de ces raisins et les suspendis au bout des
branches des arbres pour les sécher et les cuire au soleil. Quant aux limons
et aux citrons, j’en emportai autant qu’il en fallait pour plier presque sous
ma charge.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe