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Robinson cultive son champ
Le 30 septembre revint, deuxième anniversaire de mon arrivée dans l’île
où peu à peu je m’étais accoutumé à ma solitude et résigné à ma destinée.
Je me réjouissais de faire, à la fin de l’automne, une belle récolte de grains
lorsque je m’aperçus tout à coup que j’étais en danger de la perdre. Les
premiers ennemis de ma culture furent les boucs et d’autres animaux qui
ressemblaient à des lièvres. Ayant apprécié la saveur du blé en herbe, ils y
demeuraient campés nuit et jour, le mangeant à mesure qu’il poussait.
Je ne vis point d’autre remède à ce mal que d’enclore mon champ d’une
haie. Je fis ce travail avec beaucoup de peine et de sueur, d’autant plus
que la chose était pressée. Cependant, comme la terre que j’avais utilisée
n’était pas très étendue, j’eus terminé au bout de trois semaines. Et, pour
mieux donner la chasse aux maraudeurs dont je tuais quelques-uns pendant
le jour, j’attachais mon chien, pendant la nuit, à un poteau de l’enclos d’où
il s’élançait çà et là et aboyait continuellement de toutes ses forces.
De cette manière, les ennemis furent obligés d’abandonner la place et
bientôt je vis mon blé croître, prospérer et mûrir à vue d’œil. Mais si les
bêtes sauvages avaient fait du dégât dans ma moisson en herbe, les oiseaux
la menaçaient d’une ruine entière maintenant qu’elle paraissait couronnée
d’épis. Je ne savais comment les faire fuir et me résignais à faire sentinelle
jour et nuit avec mon fusil lorsque j’eus l’idée de suspendre à une espèce
de gibet les premiers que je tuai. Cela produisit un effet merveilleux. Non
seulement les oiseaux ne vinrent plus picorer dans mon champ, mais encore
ils abandonnèrent tout ce canton de l’île et je n’en vis plus aucun dans le
voisinage tant que dura l’épouvantail.
Je fis ma récolte vers la fin de décembre qui est dans ce climat la saison
de la seconde moisson.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe