Quand mon grain était en herbe, en épi ou en nature, de combien de choses
n’avais-je pas besoin pour le fermer d’un enclos, en écarter les bêtes, le
faucher, le sécher, le voiturer, le battre, le vanner et le serrer ? Après cela, il
me fallait un moulin pour moudre, un tamis pour passer la farine, du levain
et du sel pour faire fermenter la pâte et un four pour cuire mon pain.
Mais je ne me décourageai pas en songeant à tout ce qui me manquait
et commençai par le commencement. Je ne pouvais point préparer la terre
sans me faire une bêche ; je ne passai pas moins d’une semaine à fabriquer
cet instrument, et encore était-il si rude et si mal fagoté que mon labourage
en fut une fois plus pénible. J’y arrivai cependant et semai mon grain sur
deux pièces de terre plates et unies, les plus proches de la maison que je pus
trouver et les entourai d’une bonne haie. Cet ouvrage m’occupa bien durant
trois mois parce que, pendant une partie du temps, ce fut la saison pluvieuse
et je ne pus sortir que rarement.
Les jours où les pluies me confinaient à la maison, je m’amusais à
parler à mon perroquet, si bien qu’il apprit à parler lui-même et à dire son
nom et son surnom qui étaient Perroquet Mignon et qui étaient aussi les
premières paroles que j’eusse entendu prononcer dans l’île par une autre
voix que la mienne. Les entretiens que j’avais avec lui me délassaient de
mes occupations qui étaient alors graves et importantes. J’avais résolu de
me façonner quelques pots, mais de les faire aussi grands que possible,
semblables à des jarres, afin de pouvoir contenir tout ce que je voudrais
mettre dedans, mon grain par exemple.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe