XII
Robinson construit un canot et
se confectionne des vêtements
Tandis que ces choses se passaient, mes pensées retournaient souvent à la
découverte que j’avais faite de la terre située vis-à-vis de l’île et le désir de
traverser la mer pour atteindre ce continent me possédait. Je ne m’arrêtais
pas à songer que je débarquerais probablement chez des anthropophages, je
me disais seulement que je trouverais sans doute là le moyen d’aller plus
loin et de rentrer en Angleterre.
L’idée me vint d’aller visiter la chaloupe de notre bâtiment qui, après
le naufrage, avait été portée par la tempête bien avant sur le rivage. Je la
retrouvai à peu près au même endroit, presque tournée sens dessus-dessous
contre une longue éminence de sable. J’employai tous les moyens possibles
pour essayer de la redresser, mais mes efforts furent inutiles et cependant,
plus l’espoir que j’avais eu de la retourner, de la réparer et de l’utiliser
s’évanouissait, plus je rêvais de gagner le continent. Aiguillonné par ce
désir je me demandai si je ne pourrais pas fabriquer, avec le tronc d’un
arbre, un canot ou une gondole semblable précisément à celles des sauvages.
Mais je ne réfléchis pas une minute à la manière dont je pourrais, moi seul,
le transporter de la terre où je le préparerais jusqu’à la mer où je m’en
servirais. « Faisons-le seulement, me disais-je, et, quand il sera achevé, nous
trouverons dans notre imagination le moyen de le mouvoir et de le mettre
à flot ».
Rien n’était plus opposé au bon sens, mais mon entêtement ayant pris le
dessus, je me mis à travailler. Je commençai par couper un cèdre dont le
tronc avait, en bas, cinq pieds et dix pouces de diamètre. Il me fallut vingt
jours pour l’abattre, quinze jours pour l’ébrancher, un mois pour le façonner,
le raboter et en faire quelque chose de semblable au dos d’un bateau. Je
ne mis guère moins de trois mois à travailler le dedans et à le creuser. Je
vins même à bout de ce dernier travail sans me servir de feu, en employant
uniquement le marteau et le ciseau et en m’acharnant à l’ouvrage avec une
assiduité que rien ne pouvait ralentir. Tant et si bien qu’à la fin, je me vis
possesseur d’un canot fort beau, assez gros pour porter aisément vingt-six
hommes et par conséquent suffisant pour moi et toute ma cargaison.
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe