Le même soir, j’écorchai le chevreau, je le coupai en pièces et en mis
quelques morceaux sur le feu, dans un pot que j’avais. J’en fis un bon
bouillon et donnai une partie de cette viande ainsi préparée à mon valet qui,
voyant que j’en mangeais, se mit à la goûter aussi.
Après l’avoir ainsi apprivoisé avec cette nourriture, je voulus le régaler
d’un rôti. Le jour suivant, j’attachai un morceau de chevreau à une corde
et le fit tourner continuellement devant le feu comme j’avais vu faire en
Angleterre. Dès que Vendredi en eut goûté, il fit tant de grimaces pour me
dire qu’il le trouvait excellent et qu’il ne mangerait plus de chair humaine
qu’il eût fallu être stupide pour ne pas le comprendre.
Le jour après, je l’occupai à battre de l’orge et à la vanner à ma façon, ce
qu’en peu de temps il fit aussi bien que moi. Il apprit même à faire du pain,
en un mot, il ne lui fallut que peu de jours d’apprentissage pour être capable
de me servir de toutes manières.
Cette année-là fut la plus heureuse que je passai dans l’île. Vendredi
commençait à parler fort joliment ; il savait déjà les noms de presque toutes
les choses dont je pouvais avoir besoin et de tous les lieux où j’avais à
l’envoyer. J’étais de plus en plus charmé de ses progrès, de sa probité, de
son affection et je l’aimais moi-même chaque jour davantage.
Daniel Defoe