Je ne sus pas d’abord ce qu’il voulait dire par là, mais je compris ensuite
qu’une chaloupe semblable avait été portée par une tempête sur le rivage de
son pays. Je lui en demandai la description. Il s’en acquitta assez bien et me
fit tout deviner en ajoutant : « Nous, sauver les blancs hommes de se noyer ».
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Je lui demandai s’il y avait quelques hommes blancs dans cette chaloupe
« Oui, dit-il, la chaloupe pleine d’hommes blancs. Et en comptant à l’aide
de ses doigts, il me fit comprendre qu’il y en avait eu jusqu’à dix-sept et
qu’ils demeuraient chez sa nation.
Je l’interrogeai davantage pour savoir ce que ces gens étaient devenus.
Il m’assura qu’ils étaient encore là, qu’ils y avaient vécu pendant quatre
ans. Lorsque je lui demandai pourquoi ils n’avaient pas été mangés, il me
répondit : « Ils faire frère avec eux ; ne manger hommes, que quand la guerre
fait battre ». Ce qui signifiait que sa nation avait fait la paix avec eux et
qu’elle ne mangeait que les prisonniers de guerre.
Il arriva, assez longtemps après, qu’étant au haut d’une colline, du côté
de l’est d’où, par temps clair, on pouvait découvrir le continent, après avoir
attentivement regardé de ce côté-là, il parut tout exalté. Il se mit à sauter et
à gambader, criant de toutes ses forces : « Ô joie, ô plaisant, là, voir mon
pays, là, ma nation. »
La joie était répandue sur son visage et je lus dans ses yeux le désir violent
de retourner dans sa patrie. Quand je lui demandai s’il ne souhaitait pas
revoir son pays : « Oui, répondit-il, moi fort joyeux, voir ma Nation.
– Qu’y feriez-vous, lui dis-je, voudriez-vous revenir sauvage et manger
encore de la chair humaine ?
– Non, non, répliqua-t-il, Vendredi leur conter vivre bons, manger pain
de blé, chair de bêtes, lait, non plus manger hommes.
– Mais ils vous mangeront.
–Non, eux non tuer moi, volontiers aimer apprendre. »
Aventures de Robinson Crusoé
Daniel Defoe