À cet effet, je choisis un jeune cèdre fort droit et j’employai Vendredi
à l’abattre et à lui donner la forme nécessaire. Pour moi, je fis mon affaire
de la voile. Je savais qu’il me restait un bon nombre de morceaux de
vieilles voiles, mais comme je ne les avais guère soignées depuis vingt-six
ans, je craignais de les trouver pourries. J’en tirai pourtant deux lambeaux
passablement bons, je me mis à y travailler et, après la fatigue d’une couture
longue et pénible, faute d’aiguilles, j’en fis enfin une voile triangulaire.
Il me fallut presque deux mois pour dresser mon mât et ma voile et
mettre la dernière main à tout ce qui était nécessaire à la barque. De plus,
j’attachai un gouvernail à la poupe. J’étais assez mauvais charpentier, mais
comme je connaissais la grande utilité de cette pièce, je travaillai avec tant
d’application que j’en vins à bout, mais je puis bien dire que cette seule
partie me donna autant de mal que la barque tout entière.
Il s’agissait alors d’enseigner la manœuvre à Vendredi. Il savait
parfaitement mener un canot à la rame, mais il était fort ignorant dans
le maniement d’une voile et d’un gouvernail. Son étonnement était
inexprimable quand il me voyait tourner et virer ma barque à ma fantaisie
et la voile s’enfler du côté où je voulais aller. Cependant, un peu d’usage lui
rendit toutes ces choses familières et en peu de temps il devint un matelot
accompli, sauf qu’il me fut impossible de lui faire comprendre la boussole.
Mais ce n’était pas un grand malheur car nous avions rarement un temps
couvert et jamais de brouillards.
Daniel Defoe