Depuis deux jours, Vincent Vermont avait quitté sa cabane, bâtie sous un rocher qui lui servait d'abri. Il guidait les voyageurs qui voulaient gravir une haute montagne, et sa femme, Thérèse, était restée seule avec Léonard, leur fils unique, qui avait dix ans.
Le matin, Thérèse se leva de bonne heure; après avoir trait ses vaches et les avoir conduites au pâturage sur la montagne, elle porta son lait à la fromagerie communale.
Léonard, qui était resté au lit, fut éveillé par un bruit épouvantable; il eut grand' peur et crut que la maison s'écroulait. Il poussa de grands cris. Personne ne lui répondant, il se leva, alluma la chandelle et ouvrit la porte pour aller chercher sa mère; mais il fut arrêté par un mur de neige qui enveloppait toute la maison. L'enfant comprit alors qu'une avalanche était tombée, et que le rocher seul avait empêché la maison d'être écrasée. Il eut un grand désespoir, car il crut qu'il allait mourir de faim. D'abord il pleura beaucoup; puis il se rappela que sa mère lui avait dit que, quand on avait du chagrin, il fallait prier le bon Dieu, et qu'on était bientôt consolé; il se mit à genoux, et en effet il se trouva plus tranquille après sa prière. Il s'habilla, fit du feu, et chercha ce qu'il pourrait manger à son déjeuner. Il entendit bêler sa chèvre qui était dans une petite étable dont la porte donnait dans la chambre; il ouvrit cette porte, vit que le pis de la chèvre était encore tout plein, et il en tira une pleine écuelle de lait qui lui fit grand plaisir. Il trouva un reste de pain; alors il pensa qu'il ne mourrait pas de faim ce jour-là, et que peut-être son père, qui devait être de retour le soir, viendrait le délivrer. La journée lui parut un peu longue, et il se coucha quand il eut envie de dormir.
Le lendemain, après avoir fait sa prière, il alla traire sa chèvre et lui donner à manger. Comme il ne lui restait guère de pain, il prit des pommes de terre qui étaient dans un coin de l'étable et les fit cuire. Il alluma sa dernière chandelle et il eut peur à l'idée de se trouver dans l'obscurité. Il pria Dieu de ne pas l'abandonner, et aussitôt il se sentit un nouveau courage. L'enfant se souvint d'avoir monté dans le grenier une quantité de résine que son père avait recueillie sur les sapins de la montagne. Il en alla chercher et la fit fondre dans une petite chaudière; il prit le chanvre qui était à la quenouille de sa mère, le tordit en cordes grosses comme le doigt, et de la longueur d'une chandelle. Il plongea ces cordes à plusieurs reprises dans la résine bouillante, et se procura ainsi le moyen de s'éclairer. Comme il y avait un peu de blé dans le grenier, Léonard en écrasa avec un marteau dans la pierre creusée qui servait à mettre l'eau que buvait la chèvre. Il fit une galette avec cette farine grossière, et la mit cuire sous la cendre; elle lui parut excellente, car il avait grand appétit. Le troisième jour, il écrasa encore du blé et fit de la bouillie avec le lait de la chèvre. L'eau lui ayant manqué, il ouvrit la porte, prit un peu de neige et la fit fondre.
Pendant cinq jours, il vécut ainsi; mais s'il ne souffrait pas de la faim, il commençait à trouver l'air bien lourd, bien étouffant. Aussi, malgré tout son courage, le malheureux enfant finit par craindre de n'être jamais tiré de là, et de ne plus voir son père ni sa mère. Il pleurait et se désespérait quand il entendit un bruit sourd: puis il distingua la voix de son père; enfin le jour entra dans la chambre, et Léonard vit son père qui l'appelait sans oser avancer. L'enfant courut à lui, et Vincent, en le serrant dans ses bras, tomba en faiblesse.
Voici comment Léonard avait été délivré:
Lorsque Thérèse, en revenant de la fromagerie, vit sa maison ensevelie sous la neige, elle poussa de grands cris et appela tous les voisins. Chacun mit la main à l'ouvrage pour ouvrir un passage jusqu'à la porte, afin de pouvoir sauver l'enfant; mais la neige était si épaisse que la chose semblait presque impossible.
Vincent revenait tout joyeux parce qu'il avait été bien payé des voyageurs qu'il avait guidés, quand, en rentrant au village, il trouva tous les hommes occupés à déblayer le devant de sa maison. L'idée que son pauvre enfant avait bien pu mourir de faim lui déchirait le coeur; et quand, après cinq jours de travail, il aperçut enfin la porte de sa cabane, il n'osa pas en approcher. C'était donc la joie de retrouver Léonard qui lui avait fait perdre connaissance.
Il le prit dans ses bras et le porta sur le lit de sa femme, malade chez une de ses tantes. Thérèse, qui ne croyait plus revoir son enfant, faillit mourir de joie en l'embrassant.