Marthe Auclert était une petite fille de six ans, très-pieuse et très-soumise. Elle écoutait avec attention tout ce que lui disait sa bonne mère, et ne connaissait d'autre plaisir que de la contenter en toutes choses. Aussi sa maman l'aimait-elle beaucoup et lui donnait-elle tout ce qui pouvait lui faire plaisir. Elle lui apprenait de belles prières que l'enfant répétait de tout son coeur. Il en était une, entre autres, qu'elle ne manquait jamais de faire tous les soirs avant de s'endormir, pour invoquer son ange gardien, afin qu'il étendît ses blanches ailes sur son petit lit pour la protéger contre toute espèce de malheurs.
Marthe était très-propre et très-rangée. Dans un coin de l'antichambre se trouvait la porte d'un cabinet où Mme Auclert serrait les confitures, les biscuits, la provision de sucre, de café et de chocolat, enfin toute espèce de friandises. Elle avait cédé la moitié de ce cabinet à sa petite fille pour mettre ses joujoux, et Marthe y passait une bonne partie du temps où elle ne travaillait pas. Alors elle rangeait le trousseau de sa poupée, mettait en ordre ses petits ménages, et jouait avec tous ses joujoux qu'elle soignait beaucoup. C'était là aussi qu'elle s'amusait avec ses amies quand elles venaient la voir.
Comme Marthe était une petite fille bien élevée, sa mère, pleine de confiance en elle, n'ôtait jamais la clef de son armoire aux provisions; et même, quand les domestiques avaient besoin de sucre, de chocolat ou de quelque plat de dessert, c'était fort souvent Marthe qui était chargée de les leur donner. Il arrivait bien que ses petites amies l'engageaient à prendre quelque chose dans cette armoire pour faire la dînette; mais Marthe ne permit jamais qu'on l'ouvrît; elle en ôtait même la clef pour la porter à sa mère, afin qu'elle donnât elle-même ce qu'elle jugerait convenable pour son goûter et celui de ses amies.
Mme Auclert était si heureuse d'avoir une petite fille aussi sage, qu'elle l'emmenait presque toujours avec elle partout où elle allait, bien sûre que Marthe ne serait ni gourmande, ni importune.
Un dimanche, Marthe passa une partie de la matinée à épousseter ses joujoux et à les ranger. L'heure de la promenade approchant, elle mit toute seule son chapeau et son mantelet; puis, prenant son ombrelle, elle alla dans la chambre de sa bonne voir si elle était prête à sortir; mais cette fille n'étant pas encore habillée, Marthe, qui n'avait pas fini ses rangements, retourna dans le cabinet. Pendant ce temps-là, une amie de Mme Auclert vint lui demander si elle voulait venir faire une visite à la campagne avec elle, ce qui fut accepté sur-le-champ; et comme la voiture était à la porte, Mme Auclert s'empressa de descendre. En passant par l'antichambre elle vit la porte du cabinet ouverte; et, croyant sa fille à la promenade, elle ferma cette porte, ôta la clef, qu'elle plaça sur une étagère, et partit.