Marthe était si occupée de mettre une belle robe de bal à sa grande poupée, qu'elle n'entendit pas fermer la porte du cabinet où elle était; et une heure se passa avant qu'elle songeât à la promenade. Quand elle eut assez joué, elle voulut aller retrouver sa bonne, mais il lui fut impossible d'ouvrir la porte; elle appela de toutes ses forces: personne ne répondit. Alors elle se mit à pleurer. Puis vint l'heure de son goûter, et la faim se fit sentir; elle attendit encore un peu, et essaya de s'amuser avec son beau ménage de porcelaine dorée; mais ses joujoux ne l'intéressaient plus. Sa faim augmentant, elle ouvrit l'armoire aux provisions, et prit une boîte de biscuits; puis, au moment de l'ouvrir, elle se dit qu'elle n'avait pas la permission d'en prendre; alors elle essaya de voir dehors s'il ne passait pas quelqu'un de sa connaissance; mais l'oeil-de-boeuf qui éclairait le cabinet était placé si haut, qu'elle ne put y atteindre, quoiqu'elle eût mis sa petite chaise sur la table où étaient ses joujoux.
Les heures et les demi-heures sonnaient à l'horloge de la ville, et Marthe les trouvait bien longues à passer. Elle se demandait en pleurant ce qu'était devenue sa bonne. Elle ne comprenait pas qu'une maman oubliât ainsi la petite fille qu'elle aimait tant. Elle se mit à genoux et récita toutes ses prières, surtout celle à son ange gardien; puis ayant trouvé un de ses petits livres parmi ses joujoux, elle se mit à lire; mais les larmes lui troublaient la vue, et elle ne trouvait plus aucun charme au conte de la Chatte blanche, ni à celui de Peau d'Ane, qui l'amusaient tant d'ordinaire. La faim se fit sentir de nouveau et si fort que, n'y pouvant plus résister, Marthe ouvrit encore l'armoire et prit du chocolat. «Maman, pensa-t-elle, en donnerait bien à un pauvre qui aurait grand'faim; elle n'en refuserait certainement pas à sa petite fille.» Ensuite elle mangea quatre biscuits, puis elle eut soif. Comment faire pour boire? il n'y avait dans l'armoire que des liqueurs et des sirops. Heureusement elle se rappela que sa mère avait fait de l'eau de groseille sans sucre; elle en prit une petite bouteille; mais elle n'avait pas de tire-bouchon pour l'ouvrir. Alors elle pria son ange gardien de venir à son secours. Après un moment de réflexion, elle cassa le cou de la bouteille et fit jaillir de l'eau de groseille partout sur sa jolie robe de coutil de laine gris. A l'instant de boire, elle se rappela que son père défendait qu'on servît ce qui restait dans les bouteilles qui se cassaient par accident, parce qu'il craignait qu'il n'y eût quelques petits morceaux de verre, et qu'il était très-dangereux d'en avaler. Marthe se trouva donc encore bien embarrassée; pourtant elle s'avisa d'appliquer son mouchoir sur le goulot cassé de la bouteille, et elle but tranquillement. Se sentant un peu soulagée, elle se remit à lire. Le jour baissa, et l'obscurité se fit dans le cabinet. Marthe se remit à genoux et pria encore. Elle eut peur de se trouver ainsi toute seule: ses pleurs recommencèrent; puis elle écouta les bruits de la rue. Si quelqu'un passait auprès de la porte, elle espérait que peut-être c'était la bonne qui rentrait; mais on allait plus loin, et l'enfant pleurait encore. Quand une voiture roulait dans le voisinage, elle pensait que c'était celle qui ramenait sa mère, car elle avait bien entendu qu'on était venu la prendre pour aller à la campagne; mais la voiture s'éloignait, et le coeur de la petite fille se gonflait encore davantage. Alors Marthe, s'imaginant qu'elle était abandonnée du monde entier, sanglota bien plus fort; puis elle se mit à genoux auprès de sa petite chaise et pria son ange gardien: