—Si tu avais un bon coeur, tu ne trouverais pas toutes ces raisons de me refuser ce que je te demande.
—Mais, Estelle, tu n'es pas raisonnable du tout!»
Estelle, impatientée de ce que sa soeur ne voulait pas lui donner son nécessaire, le lui arracha des mains et le jeta au loin. Heureusement que l'autre petite fille était fort agile: elle rattrapa la jolie petite boîte avant qu'elle fût tombée à terre, où bien certainement elle se serait brisée. Alors Estelle quitta la chambre en disant:
«Tu t'en repentiras!»
Ceci se passait le matin, pendant la récréation des petites filles. Peu de temps après, le maître de piano arriva, et la soeur d'Estelle prit sa leçon. Quand elle l'eut terminée, elle appela sa soeur pour venir prendre la sienne à son tour; mais Estelle ne répondit pas. Sa bonne la chercha dans toute la maison et ne put la trouver. Comme M. Savigny venait de monter en voiture pour aller faire une petite course à la campagne, on supposa qu'il avait emmené sa fille pour la consoler un peu, car il la gâtait beaucoup; et Mme Savigny l'excusa auprès du maître de piano.
Le père rentra juste au moment où l'on se mettait à table, et sa première parole, en entrant dans la salle à manger, fut pour demander Estelle.
«Mais, papa, vous l'avez bien emmenée avec vous?
—Non, vraiment! je ne l'ai pas vue depuis le déjeuner.»
M. et Mme Savigny étaient au désespoir. La soeur d'Estelle ne se pardonnait pas de lui avoir refusé son nécessaire, ne doutant pas que son refus eût été la cause du départ de sa soeur.
«Maudit nécessaire! s'écria-t-elle en pleurant, je voudrais ne t'avoir jamais vu! C'est une bien malheureuse idée qu'a eue là mon parrain, de m'apporter ce joli bijou qui m'a privée de ma soeur chérie!»
Pendant tout ce temps-là, Estelle était derrière le lit de sa mère, cachée par les rideaux qu'on ne fermait jamais. Elle s'était mise là pour bouder plus à son aise, et personne ne s'avisa de l'y aller chercher. Elle entendit bien qu'on l'appelait pour prendre sa leçon de piano; mais comme elle était de mauvaise humeur, elle ne répondit pas et laissa partir le maître. Plus tard, quand elle vit l'agitation que causait son absence, elle ne dit rien non plus, voulant punir sa mère et sa soeur de lui avoir refusé un nécessaire.