【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée I (2)
J’avais loué à Cordoue un guide et deux chevaux, et m’étais mis en
campagne avec les Commentaires de César et quelques chemises pour tout
bagage. Certain jour, errant dans la partie élevée de la plaine de Cachena,
harassé de fatigue, mourant de soif, brûlé par un soleil de plomb, je donnais
au diable de bon cœur César et les fils de Pompée, lorsque j’aperçus, assez
loin du sentier que je suivais, une petite pelouse verte parsemée de joncs
et de roseaux. Cela m’annonçait le voisinage d’une source. En effet, en
m’approchant, je vis que la prétendue pelouse était un marécage où se perdait
un ruisseau, sortant, comme il semblait, d’une gorge étroite entre deux hauts
contreforts de la sierra de Cabra. Je conclus qu’en remontant le ruisseau
je trouverais de l’eau plus fraîche, moins de sangsues et de grenouilles, et
peut-être un peu d’ombre au milieu des rochers. À l’entrée de la gorge, mon
cheval hennit, et un autre cheval, que je ne voyais pas, lui répondit aussitôt. À
peine eus-je fait une centaine de pas, que la gorge, s’élargissant tout à coup,
me montra une espèce de cirque naturel parfaitement ombragé par la hauteur
des escarpements qui l’entouraient. Il était impossible de rencontrer un lieu
qui promît au voyageur une halte plus agréable. Au pied de rochers à pic,
la source s’élançait en bouillonnant et tombait dans un petit bassin tapissé
d’un sable blanc comme la neige. Cinq à six beaux chênes verts, toujours
à l’abri du vent et rafraîchis par la source, s’élevaient sur ses bords, et la
couvraient de leur épais ombrage ; enfin, autour du bassin, une herbe fine,
lustrée, offrait un lit meilleur qu’on n’en eût trouvé dans aucune auberge à
dix lieues à la ronde.