【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée I (15)
– Ah ! votre guide ! votre guide ! Je m’en étais méfié d’abord... mais...
son compte est bon !... Adieu, Monsieur. Dieu vous rende le service que je
vous dois. Je ne suis pas tout à fait aussi mauvais que vous me croyez... oui,
il y a encore en moi quelque chose qui mérite la pitié d’un galant homme...
Adieu, Monsieur... Je n’ai qu’un regret, c’est de ne pouvoir m’acquitter
envers vous.
– Pour prix du service que je vous ai rendu, promettez-moi, don José, de
ne soupçonner personne, de ne pas songer à la vengeance. Tenez, voilà des
cigares pour votre route ; bon voyage ! Et je lui tendis la main. Il me la serra
sans répondre, prit son espingole et sa besace, et, après avoir dit quelques
mots à la vieille dans un argot que je ne pus comprendre, il courut au hangar.
Quelques instants après, je l’entendais galoper dans la campagne.
Pour moi, je me recouchai sur mon banc, mais je ne me rendormis point.
Je me demandais si j’avais eu raison de sauver de la potence un voleur,
et peut-être un meurtrier, et cela seulement parce que j’avais mangé avec
lui du jambon et du riz à la valencienne. N’avais-je pas trahi mon guide
qui soutenait la cause des lois ; ne l’avais-je pas exposé à la vengeance
d’un scélérat ? Mais les devoirs de l’hospitalité !... Préjugé de sauvage, me
disais-je ; j’aurai à répondre de tous les crimes que le bandit va commettre...