【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée II (5)
On sent qu’il eût été ridicule de se faire tirer la bonne aventure dans un
café. Aussi je priai la jolie sorcière de me permettre de l’accompagner à son
domicile ; elle y consentit sans difficulté, mais elle voulut connaître encore
la marche du temps, et me pria de nouveau de faire sonner ma montre.
– Est-elle vraiment d’or ? dit-elle en la considérant avec une excessive
attention.
Quand nous nous remîmes en marche, il était nuit close ; la plupart des
boutiques étaient fermées et les rues presque désertes. Nous passâmes le
pont du Guadalquivir, et à l’extrémité du faubourg nous nous arrêtâmes
devant une maison qui n’avait nullement l’apparence d’un palais. Un enfant
nous ouvrit. La Bohémienne lui dit quelques mots dans une langue à moi
inconnue, que je sus depuis être la rommani ou chipe calli, l’idiome des
Gitanos. Aussitôt l’enfant disparut, nous laissant dans une chambre assez
vaste, meublée d’une petite table, de deux tabourets et d’un coffre. Je ne dois
point oublier une jarre d’eau, un tas d’oranges et une botte d’oignons.
Dès que nous fûmes seuls, la Bohémienne tira de son coffre des cartes
qui paraissaient avoir beaucoup servi, un aimant, un caméléon desséché,
et quelques autres objets nécessaires à son art. Puis elle me dit de faire la
croix dans ma main gauche avec une pièce de monnaie, et les cérémonies
magiques commencèrent. Il est inutile de vous rapporter ses prédictions, et,
quant à sa manière d’opérer, il était évident qu’elle n’était pas sorcière à
demi.