【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (5)
– À la prison, ma pauvre enfant, lui répondis-je le plus doucement que je
pus, comme un bon soldat doit parler à un prisonnier, surtout à une femme.
– Hélas ! que deviendrai-je ? Seigneur officier, ayez pitié de moi. Vous
êtes si jeune, si gentil !... Puis d’un ton plus bas : Laissez-moi m’échapper,
dit-elle, je vous donnerai un morceau de la bar lachi, qui vous fera aimer
de toutes les femmes.
La bar lachi, Monsieur, c’est la pierre d’aimant avec laquelle les
Bohémiens prétendent qu’on fait quantité de sortilèges quand on sait s’en
servir. Faites-en boire à une femme une pincée râpée dans un verre de vin
blanc, elle ne résiste plus. Moi, je lui répondis le plus sérieusement que je
pus :
– Nous ne sommes pas ici pour dire des balivernes ; il faut aller à la
prison, c’est la consigne, et il n’y a pas de remède.
Nous autres gens du pays basque, nous avons un accent qui nous fait
reconnaître facilement des Espagnols ; en revanche, il n’y en a pas un qui
puisse seulement apprendre à dire baï Jaona. Carmen donc n’eut pas de
peine à deviner que je venais des Provinces. Vous saurez que les Bohémiens,
Monsieur, comme n’étant d’aucun pays, voyageant toujours, parlent toutes
les langues, et la plupart sont chez eux au Portugal, en France, dans les
Provinces, en Catalogne, partout ; même avec les Maures et les Anglais,
ils se font entendre. Carmen savait assez bien le basque. – Laguna, ene
bihotsarena, camarade de mon cœur, me dit-elle tout à coup, êtes-vous du
pays ?