【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (6)
Notre langue, Monsieur, est si belle, que lorsque nous l’entendons en pays
étranger, cela nous fait tressaillir... « Je voudrais avoir un confesseur des
Provinces », ajouta plus bas le bandit. Il reprit après un silence :
– Je suis d’Elizondo, lui répondis-je en basque, fort ému de l’entendre
parler ma langue.
– Moi, je suis d’Etchalar, dit-elle. – C’est un pays à quatre heures de chez
nous. – J’ai été emmenée par des Bohémiens à Séville. Je travaillais à la
manufacture pour gagner de quoi retourner en Navarre, près de ma pauvre
mère qui n’a que moi pour soutien, et un petit barratcea avec vingt pommiers
à cidre. Ah ! si j’étais au pays, devant la montagne blanche ! On m’a insultée
parce que je ne suis pas de ce pays de filous, marchands d’oranges pourries
; et ces gueuses se sont mises toutes contre moi, parce que je leur ai dit que
tous leurs jaques de Séville, avec leurs couteaux, ne feraient pas peur à un
gars de chez nous avec son béret bleu et son maquila. Camarade, mon ami,
ne ferez-vous rien pour une payse ?
Elle mentait, Monsieur, elle a toujours menti. Je ne sais pas si dans sa
vie cette fille-là a jamais dit un mot de vérité ; mais, quand elle parlait, je
la croyais : c’était plus fort que moi. Elle estropiait le basque, et je la crus
Navarraise ; ses yeux seuls et sa bouche et son teint la disaient Bohémienne.
J’étais fou, je ne faisais plus attention à rien. Je pensais que, si des Espagnols
s’étaient avisés de mal parler du pays, je leur aurais coupé la figure, tout
comme elle venait de faire à sa camarade. Bref, j’étais comme un homme
ivre ; je commençais à dire des bêtises, j’étais tout prêt d’en faire.