【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (15)
En parlant ainsi, elle défaisait la barre qui fermait la porte, et une fois
dans la rue elle s’enveloppa dans sa mantille et me tourna les talons.
Elle disait vrai. J’aurais été sage de ne plus penser à elle ; mais,
depuis cette journée dans la rue du Candilejo, je ne pouvais plus songer
à autre chose. Je me promenais tout le jour, espérant la rencontrer. J’en
demandais des nouvelles à la vieille et au marchand de friture. L’un et l’autre
répondaient qu’elle était partie pour Lalorò, c’est ainsi qu’ils appellent le
Portugal. Probablement c’était d’après les instructions de Carmen qu’ils
parlaient de la sorte, mais je ne tardai pas à savoir qu’ils mentaient. Quelques
semaines après ma journée de la rue du Candilejo, je fus de faction à une des
portes de la ville. À peu de distance de cette porte, il y avait une brèche qui
s’était faite dans le mur d’enceinte ; on y travaillait pendant le jour, et la nuit
on y mettait un factionnaire pour empêcher les fraudeurs. Pendant le jour, je
vis Lillas Pastia passer et repasser autour du corps de garde, et causer avec
quelques-uns de mes camarades ; tous le connaissaient, et ses poissons et
ses beignets encore mieux. Il s’approcha de moi et me demanda si j’avais
des nouvelles de Carmen.
– Non, lui dis-je.
– Eh bien ! vous en aurez, compère.
Il ne se trompait pas. La nuit, je fus mis de faction à la brèche. Dès que le
brigadier se fut retiré, je vis venir à moi une femme. Le cœur me disait que
c’était Carmen. Cependant je criai : Au large ! on ne passe pas !
– Ne faites donc pas le méchant, me dit-elle en se faisant connaître à moi.
– Quoi ! vous voilà, Carmen !