【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (19)
Puis toutes les deux m’assurèrent que je serais guéri avant peu, mais qu’il
fallait quitter Séville le plus tôt possible ; car, si l’on m’y attrapait, j’y serais
fusillé sans rémission. – Mon garçon, me dit Carmen, il faut que tu fasses
quelque chose ; maintenant que le roi ne te donne plus ni riz ni merluche, il
faut que tu songes à gagner ta vie. Tu es trop bête pour voler à pastesas ; mais
tu es leste et fort : si tu as du cœur, va-t’en à la côte, et fais-toi contrebandier.
Ne t’ai-je pas promis de te faire pendre ? Cela vaut mieux que d’être fusillé.
D’ailleurs, si tu sais t’y prendre, tu vivras comme un prince, aussi longtemps
que les miñons et les gardes-côtes ne te mettront pas la main sur le collet.
Ce fut de cette façon engageante que cette diable de fille me montra la
nouvelle carrière qu’elle me destinait, la seule, à vrai dire, qui me restât,
maintenant que j’avais encouru la peine de mort. Vous le dirai-je, Monsieur ?
elle me détermina sans beaucoup de peine. Il me semblait que je m’unissais
à elle plus intimement par cette vie de hasards et de rébellion. Désormais
je crus m’assurer son amour. J’avais entendu souvent parler de quelques
contrebandiers qui parcouraient l’Andalousie, montés sur un bon cheval,
l’espingole au poing, leur maîtresse en croupe. Je me voyais déjà trottant
par monts et par vaux avec la gentille Bohémienne derrière moi. Quand je
lui parlais de cela, elle riait à se tenir les côtes, et me disait qu’il n’y a rien
de si beau qu’une nuit passée au bivouac, lorsque chaque rom se retire avec
sa romi sous sa petite tente formée de trois cerceaux, avec une couverture
par-dessus.
– Si je te tiens jamais dans la montagne, lui disais-je, je serai sûr de toi !
Là, il n’y a pas de lieutenant pour partager avec moi.
– Ah ! tu es jaloux, répondit-elle. Tant pis pour toi. Comment es-tu assez
bête pour cela ? Ne vois-tu pas que je t’aime, puisque je ne t’ai jamais
demandé d’argent ?