【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (18)
Carmen alors éteignit la lampe, et dit dans sa langue à Dorothée de s’enfuir.
Moi-même je me sauvai dans la rue, et me mis à courir sans savoir où. Il
me semblait que quelqu’un me suivait. Quand je revins à moi, je trouvai que
Carmen ne m’avait pas quitté. – Grand niais de canari ! me dit-elle, tu ne
sais faire que des bêtises. Aussi bien, je te l’ai dit que je te porterais malheur.
Allons, il y a remède à tout, quand on a pour bonne amie une Flamande
de Rome. Commence par mettre ce mouchoir sur ta tête, et jette-moi ce
ceinturon. Attends-moi dans cette allée. Je reviens dans deux minutes. – Elle
disparut, et me rapporta bientôt une mante rayée qu’elle était allée chercher
je ne sais où. Elle me fit quitter mon uniforme, et mettre la mante par-dessus
ma chemise. Ainsi accoutré, avec le mouchoir dont elle avait bandé la plaie
que j’avais à la tête, je ressemblais assez à un paysan valencien, comme il y
en a à Séville, qui viennent vendre leur orgeat de chufas. Puis elle me mena
dans une maison assez semblable à celle de Dorothée, au fond d’une petite
ruelle. Elle et une autre Bohémienne me lavèrent, me pansèrent mieux que
n’eût pu le faire un chirurgien-major, me firent boire je ne sais quoi ; enfin,
on me mit sur un matelas, et je m’endormis.
Probablement ces femmes avaient mêlé dans ma boisson quelques-unes
de ces drogues assoupissantes dont elles ont le secret, car je ne m’éveillai
que fort tard le lendemain. J’avais un grand mal de tête et un peu de fièvre.
Il fallut quelque temps pour que le souvenir me revint de la terrible scène où
j’avais pris part la veille. Après avoir pansé ma plaie, Carmen et son amie,
accroupies toutes les deux sur les talons auprès de mon matelas, échangèrent
quelques mots en chipe calli, qui paraissaient être une consultation médicale.