【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (34)
Pendant que j’étais caché à Grenade, il y eut des courses de taureaux
où Carmen alla. En revenant, elle parla beaucoup d’un picador très adroit
nommé Lucas. Elle savait le nom de son cheval, et combien lui coûtait sa
veste brodée. Je n’y fis pas attention. Juanito, le camarade qui m’était resté,
me dit, quelques jours après, qu’il avait vu Carmen avec Lucas chez un
marchand du Zacatin. Cela commença à m’alarmer. Je demandai à Carmen
comment et pourquoi elle avait fait connaissance avec le picador. – C’est
un garçon, me dit-elle, avec qui on peut faire une affaire. Rivière qui fait du
bruit, a de l’eau ou des cailloux. Il a gagné 1 200 réaux aux courses. De deux
choses l’une : ou bien il faut avoir cet argent ; ou bien, comme c’est un bon
cavalier et un gaillard de cœur, on peut l’enrôler dans notre bande. Un tel et
un tel sont morts, tu as besoin de les remplacer. Prends-le avec toi.
– Je ne veux, répondis-je, ni de son argent, ni de sa personne, et je te
défends de lui parler. – Prends garde, me dit-elle ; lorsqu’on me défie de
faire une chose, elle est bientôt faite ! – Heureusement, le picador partit
pour Malaga, et moi, je me mis en devoir de faire entrer les cotonnades du
juif. J’eus fort à faire dans cette expédition-là, Carmen aussi, et j’oubliai
Lucas ; peut-être aussi l’oublia-t-elle, pour le moment du moins. C’est vers
ce temps, Monsieur, que je vous rencontrai, d’abord près de Montilla, puis
après à Cordoue. Je ne vous parlerai pas de notre dernière entrevue. Vous
en savez peut-être plus long que moi. Carmen vous vola votre montre ; elle
voulait encore votre argent, et surtout cette bague que je vois à votre doigt, et
qui, dit-elle, est un anneau magique qu’il lui importait beaucoup de posséder.