【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (35)
Nous eûmes une violente dispute, et je la frappai. Elle pâlit et pleura. C’était
la première fois que je la voyais pleurer, et cela me fit un effet terrible. Je
lui demandai pardon, mais elle me bouda pendant tout un jour, et, quand
je repartis pour Montilla, elle ne voulut pas m’embrasser. – J’avais le cœur
gros, lorsque, trois jours après, elle vint me trouver l’air riant et gaie comme
pinson. Tout était oublié, et nous avions l’air d’amoureux de deux jours. Au
moment de nous séparer, elle me dit : – Il y a une fête à Cordoue, je veux la
voir, puis je saurai les gens qui s’en vont avec de l’argent, et je te le dirai. – Je
la laissai partir. Seul, je pensai à cette fête et à ce changement d’humeur de
Carmen. Il faut qu’elle se soit vengée déjà, me dis-je, puisqu’elle est revenue
la première. – Un paysan me dit qu’il y avait des taureaux à Cordoue. Voilà
mon sang qui bouillonne, et, comme un fou, je pars, et je vais à la place. On
me montra Lucas, et, sur le banc contre la barrière, je reconnus Carmen. Il
me suffit de la voir une minute pour être sûr de mon fait. Lucas, au premier
taureau, fit le joli cœur, comme je l’avais prévu. Il arracha la cocarde du
taureau, et la porta à Carmen, qui s’en coiffa sur-le-champ. Le taureau se
chargea de me venger. Lucas fut culbuté avec son cheval sur la poitrine, et le
taureau par-dessus tous les deux. Je regardai Carmen, elle n’était déjà plus
à sa place. Il m’était impossible de sortir de celle où j’étais, et je fus obligé
d’attendre la fin des courses. Alors j’allai à la maison que vous connaissez,
et je m’y tins coi toute la soirée et une partie de la nuit. Vers deux heures du
matin, Carmen revint, et fut un peu surprise de me voir. – Viens avec moi,
lui dis-je. – Eh bien ! dit-elle, partons ! – J’allai prendre mon cheval, je la
mis en croupe, et nous marchâmes tout le reste de la nuit sans nous dire un
seul mot. Nous nous arrêtâmes au jour dans une venta isolée, assez près d’un
petit ermitage. Là je dis à Carmen :