【法国文学】卡门Carmen --Prosper Mérimée III (36)
– Écoute, j’oublie tout. Je ne te parlerai de rien ; mais jure-moi une chose :
c’est que tu vas me suivre en Amérique, et que tu t’y tiendras tranquille.
– Non, dit-elle d’un ton boudeur, je ne veux pas aller en Amérique. Je
me trouve bien ici.
– C’est parce que tu es près de Lucas ; mais, songes-y bien, s’il guérit, ce
ne sera pas pour faire de vieux os. Au reste, pourquoi m’en prendre à lui ?
Je suis las de tuer tous tes amants ; c’est toi que je tuerai.
Elle me regarda fixement de son regard sauvage, et me dit :
– J’ai toujours pensé que tu me tuerais. La première fois que je t’ai vu,
je venais de rencontrer un prêtre à la porte de ma maison. Et cette nuit, en
sortant de Cordoue, n’as-tu rien vu ? Un lièvre a traversé le chemin entre les
pieds de ton cheval. C’est écrit.
– Carmencita, lui demandai-je, est-ce que tu ne m’aimes plus ?
Elle ne répondit rien. Elle était assise les jambes croisées sur une natte et
faisait des traits par terre avec son doigt.
– Changeons de vie, Carmen, lui dis-je d’un ton suppliant. Allons vivre
quelque part où nous ne serons jamais séparés. Tu sais que nous avons, pas
loin d’ici, sous un chêne, cent vingt onces enterrées... Puis, nous avons des
fonds encore chez le juif ben-Joseph.
Elle se mit à sourire, et me dit :
– Moi d’abord, toi ensuite. Je sais bien que cela doit arriver ainsi.
– Réfléchis, repris-je ; je suis au bout de ma patience et de mon courage ;
prends ton parti, ou je prendrai le mien. Je la quittai et j’allai me promener du
côté de l’ermitage. Je trouvai l’ermite qui priait. J’attendis que sa prière fût
finie ; j’aurais bien voulu prier, mais je ne pouvais pas. Quand il se releva,
j’allai à lui. – Mon père, lui dis-je, voulez-vous prier pour quelqu’un qui est
en grand péril ?