Pierrette avait une marraine qu'elle aimait beaucoup. Elle allait la voir de temps en temps, et il fallait une heure pour aller jusque chez elle, et une heure pour en revenir; mais Pierrette avait tant de plaisir à voir sa marraine qu'elle ne se plaignait jamais de la longueur du chemin.
Le père de Pierrette avait des pigeons qui eurent de si jolis petits, que l'enfant voulut en élever elle-même une paire, afin de les offrir à sa marraine le jour de sa fête. Quand ils mangèrent seuls, elle les plaça dans le cabinet où elle couchait. Elle en eut tant de soin qu'en peu de temps ils furent apprivoisés. Ils venaient manger dans la main de leur petite maîtresse, et la suivaient quand elle allait dans son jardin. S'ils volaient sur le toit de la maison, ils venaient se poser sur son épaule ou sur son bras aussitôt qu'elle les appelait.
Vers la Saint-Pierre, les petits pigeons étaient dans toute leur beauté; leur cou changeait de couleur au moindre mouvement qu'ils faisaient; celui du mâle était tantôt bleu, tantôt rouge et puis violet; la petite femelle avait des couleurs moins foncées: elle était rose et verte, puis lilas; enfin, rien n'était plus joli à voir que ces deux petits animaux.
La veille de la fête de sa marraine, Pierrette mit ses plus beaux habits et fit un gros bouquet des plus belles fleurs de son jardin; puis elle partit toute seule, pour aller lui porter les pigeons.
Elle trouva grande compagnie chez sa marraine, à qui l'on avait donné beaucoup de biscuits et de gâteaux pour sa fête. Toute la famille était à table, et Pierrette fut comme honteuse de se trouver au milieu de tant de monde.
La marraine trouva les pigeons charmants; elle embrassa Pierrette et la fit placer auprès d'elle, afin qu'elle goûtât de toutes les bonnes choses qui étaient sur la table.
Quand la petite voulut s'en retourner chez sa mère, on lui donna trois tartelettes: une pour elle, et les deux autres pour ses petits frères. On les enveloppa dans un papier très-propre, et Pierrette les porta à la main.
En passant le long du ruisseau, Pierrette trouva quatre petits garçons qui pêchaient des écrevisses. Elle ne s'arrêta pas pour les regarder, parce que sa maman lui avait défendu de parler aux petits garçons et de jouer avec eux. Le plus grand des quatre, qui avait bien douze ans, lui dit:
«Tu es bien fière, toi? Pourquoi ne nous dis-tu rien en passant?»
Pierrette ne répondit pas et continua son chemin.
«Vois-tu bien cette demoiselle qui ne nous répond seulement pas? dit un autre en la suivant. Qu'est-ce qu'elle porte donc dans sa main?» Et comme Pierrette marchait toujours sans rien dire:
«Je la ferai bien parler, moi,» dit un tout petit.
Alors Pierrette, qui commençait à avoir peur, ce mit à courir de toutes ses forces. Les gamins la poursuivirent en lui jetant de la boue d'abord, puis des pierres; et comme elle ne s'arrêtait pas, le plus grand, courut plus fort qu'elle et se mit en travers de son chemin.
«Tu vas me donner ce que tu tiens là, dit-il, et tout de suite!»
Pierrette se mit à pleurer.
Le plus petit de la bande, qui en était aussi le plus mauvais, lui arracha le papier et l'ouvrit.
«Tiens! tiens! des tartelettes! où les a-t-elles volées, cette pleurnicheuse?
—Je n'ai pas volé les tartelettes, dit Pierrette, c'est ma marraine qui me les a données.
—Ah! ah! tu as donc retrouvé ta langue cette fois.
—Rendez-moi mes tartelettes; c'est pour mes petits frères, ma marraine l'a dit.
—Ça m'est bien égal, dit un des petits drôles: ça ne m'empêchera pas de les manger.
—Ni moi non plus, ajouta le plus petit; je me moque pas mal de ta marraine, de tes frères et de toi.»
Pierrette, bien désolée de n'avoir plus ses tablettes, continua son chemin en tournant la tête de temps en temps pour voir ce qu'elles deviendraient.