Rose n'avait que douze ans quand elle perdit sa mère, qui laissait cinq pauvres petits enfants dont Rose était l'aînée.
Le soir, après l'enterrement, le père l'aida à coucher tous les petits; et, quand ils furent endormis, il prit Rose sur ses genoux et lui dit:
«Mon enfant, nous sommes bien malheureux d'avoir perdu ta mère qui nous soignait si bien. Tu es trop jeune encore pour faire l'ouvrage de la maison, et moi, je suis trop pauvre pour payer une femme qui viendrait t'aider. Comment donc faire?»
Rose pleurait en entendant parler son père; car la mort de sa mère lui causait un grand chagrin. Elle s'apaisa pourtant et répondit à son père:
«J'ai souvent aidé à maman, et j'ai bien vu comment elle s'y prenait. Soyez tranquille, papa, le bon Dieu ne nous abandonnera pas, puisque nous avons bonne intention de nous soutenir.
—Mais, ma pauvre petite, tu n'auras jamais la force de faire un lit?
—Ne vous en inquiétez pas, mon père, j'en viendrai bien à bout; et d'ailleurs, nous avons de bonnes voisines qui ne refuseront pas de venir me donner un coup de main.»
Dès le lendemain, Rose se leva en même temps que son père, un peu avant le jour; elle alluma son feu et mit de l'eau chauffer pour faire la soupe; ensuite elle balaya la chambre jusque dans les plus petits coins et frotta les meubles avec soin; puis elle trempa la soupe, que le père mangea avant d'aller à l'ouvrage. Quand il fut parti, elle éveilla son frère Simon, qui avait dix ans; il s'habilla; tous deux se mirent à genoux et firent leur prière. Ils demandèrent à Dieu de leur donner beaucoup de courage pour les empêcher de tomber dans la misère. Ils mangèrent la soupe ensemble, et Simon alla détacher la vache et la chèvre pour les mener aux champs, après que sa soeur aurait fini de les traire. Rose rentra pour faire lever sa soeur Suzanne, âgée de huit ans. Elle la débarbouilla et la peigna avec attention. Quand elle l'eut habillée, on leva Jean, qui n'avait que quatre ans, et Suzanne s'en occupa, pendant que Rose prenait la petite Fanchon, encore endormie, pour la poser sur le lit de son père, qu'elle avait déjà fait.
Jean étant habillé, Suzanne fit les deux autres lits avec sa soeur; et, comme elle était encore bien petite, elle fut obligée de monter sur une chaise.
Quand tout fut rangé dans la maison, et que Rose eut mis un pot de haricots devant le feu pour le dîner de la famille, elle recommanda à Suzanne de veiller sur leur petite soeur, pendant qu'elle irait à la rivière laver le linge avec Jean, qui, en l'attendant, chercherait de la salade.
Elle rentra vers neuf heures et trouva Fanchon tout éveillée: elle demandait sa maman, ce qui fit pleurer les deux autres petites filles. Suzanne amusa l'enfant que sa soeur lavait et habillait, et elle l'emmena promener avec son frère Jean.
Le père revint dîner à midi. Le couvert était mis et Rose lui servit un bon plat de haricots, pendant que Simon allait tirer à boire. En voyant tout si propre et si bien rangé dans la maison, le père dit à sa fille:
«Ma Rose, je suis bien content de toi. Si tu continues à être une bonne petite ménagère, nous nous sauverons de la misère qui nous menace.»
Rose fila pendant le reste de la journée, et le soir elle apprêta le souper. Quand tout le monde eut mangé, elle coucha les petits, pendant que son père pansait la vache et lui donnait de la pâture pour la nuit.
Tous les jours elle en faisait autant, et tout le monde, voyant son grand courage, l'appelait la petite ménagère. Quand elle avait du pain à faire, ses voisines s'empressaient de venir à son aide. L'une chauffait le four, tandis que l'autre pétrissait la pâte; car il eût été impossible à l'enfant d'en venir à bout toute seule. Elles l'aidaient aussi à couler sa lessive, ainsi qu'à la laver.
Suzanne apprit aussi à filer, et elles finirent le chanvre que leur pauvre mère avait laissé; puis elles filèrent pour la femme du maire, et gagnèrent l'argent nécessaire à payer la façon de leur toile.
Rose était une véritable mère pour ses frères et ses soeurs; elle les tenait fort propres, et ne manquait jamais de leur faire dire leur prière matin et soir. Le dimanche, après leur avoir mis leurs beaux habits, elle les conduisait à la messe et les gardait auprès d'elle, ne souffrant pas qu'ils courussent dans l'église comme font quelquefois les enfants.