Trois petits enfants déjeunaient ensemble sur la terrasse d'une belle maison de campagne; au bas de cette terrasse coule une rivière qu'on appelle la Loue. Elle est très-large en cet endroit, et fait tourner les roues d'une forge qui étire le fer en fils fins comme du coton à broder. De l'autre côté de la Loue, et en face de la maison, il y a une belle montagne à moitié couverte de vignes, et dont le haut est plein de rochers gros comme des églises.
La maison des petits enfants était dans l'ombre et le soleil éclairait la montagne.
Hélène, l'aînée des trois, et qui avait sept ans, se trouvait sur le haut du perron de la maison; elle dit à sa petite soeur Suzanne:
«Mon Dieu! que cette montagne est belle, et que je voudrais bien la voir de près!
—Allons-y, ma soeur, dit résolûment le petit Raymond, âgé de six ans: je te conduirai bien, moi!
HÉLÈNE.
Et Suzanne? elle a de trop petites jambes pour nous suivre.
SUZANNE, très-fâchée.
Mademoiselle, je cours aussi bien que vous; je cours mieux que vous, même!
—Partons!» s'écria Raymond.
Et les voilà à courir tous les trois pour passer le pont qui était près de la grille de leur cour.
La Loue sort d'une belle fontaine qui se trouve au fond d'une grotte entourée de balsamines sauvages. C'est d'abord un tout petit ruisseau qui gazouille sur les cailloux entre deux montagnes toutes couvertes d'arbres et de fleurs; puis, peu à peu, le ruisseau grossit et finit par devenir une rivière large et profonde, dans laquelle on se noie si on veut la traverser en passant sur les morceaux de roche dont elle est remplie, ou bien quand on veut cueillir les grandes feuilles de nénufar qui poussent dans ses eaux. Les petits enfants savaient bien cela, car on leur avait souvent défendu de jouer au bord de la rivière.
Quand ils eurent passé le pont tous les trois, ils se trouvèrent sur la route, au pied de la montagne, en plein soleil; ils commencèrent alors à la gravir par un petit sentier au milieu des vignes, tout en cueillant de jolies fleurs qu'ils jetaient bientôt pour en cueillir de nouvelles.
Après avoir monté pendant une demi-heure, Suzanne dit qu'elle avait soif.
HÉLÈNE.
«Je l'avais bien dit qu'elle ne pourrait pas nous suivre!
—Viens, ma petite, dit Raymond en la prenant par la main; je trouverai bien une source, et nous boirons tous les trois.»
Ils arrivèrent à un passage, entre deux rochers hauts comme le clocher du village. Comme le soleil commençait à leur faire mal, ils entrèrent dans ce passage qui était tout plein d'ombre, et ils se trouvèrent bientôt dans un espace grand comme leur jardin et entouré de rochers droits comme des murailles; mais, au lieu d'être tout unis, ils étaient pleins de crevasses d'où pendaient de belles guirlandes d'églantiers dont les fleurs embaumaient l'air. Il y avait aussi des clématites et des vignes sauvages; puis encore de grosses touffes de spirées aux grandes feuilles plissées, dont les fleurs ressemblent à des bouquets de plumes blanches. Les enfants oublièrent leur soif en voyant toutes ces belles fleurs qu'ils auraient bien voulu cueillir; mais elles étaient placées trop haut pour que leurs petites mains pussent y atteindre. Au bout de cette espèce de jardin sauvage, un filet d'eau tombait des rochers et bouillonnait dans un petit bassin; puis cette eau allait se perdre dans les pierres.