Longuet était un petit épicier que tout le monde estimait à cause de sa probité. On savait qu'il n'avait jamais trompé personne; et quand les pauvres ouvrières qui n'ont pas le temps de faire leurs commissions elles-mêmes envoyaient leurs petits enfants chez Longuet, il leur faisait toujours bon poids, et leur donnait quelque amande ou quelque pruneau pour leur faire plaisir.
Jules, fils unique de cet honnête homme, était un enfant très-intelligent et surtout très-rusé; mais il annonça dès son enfance un penchant pour le vol. Il avait à peine cinq ans que, tout en montant sur les genoux de son père pour l'embrasser, il mettait adroitement sa petite main dans la poche du gilet et y prenait quelques menues monnaies. L'épicier s'apercevait bien de ce petit larcin; mais il en riait avec sa femme: et l'enfant, heureux du succès de sa ruse, allait chez le confiseur acheter des bonbons.
Mme Longuet avait avec elle une de ses soeurs, pauvre fille contrefaite et de mauvaise santé qu'on appelait tante Monique, et que tout le monde aimait à cause de sa grande douceur. Tante Monique n'approuvait point l'indulgence dont on usait envers Jules, disant que ces gentillesses-là tourneraient à mal. Mais Longuet et sa femme ne faisaient que rire, des craintes de leur soeur.
Jules grandissait: son père, voulant lui donner plus d'instruction qu'il n'en avait reçu lui-même, l'envoya à l'école primaire supérieure. L'enfant continua de prendre tout ce qu'il pouvait attraper chez lui. Il emportait souvent des balles, des billes, des sucre d'orge, qu'il revendait ensuite à ses camarades.
Tante Monique visitait les habits de son neveu tous les soirs, quand il était couché, pour voir s'ils n'avaient pas besoin d'être raccommodés; et si elle trouvait de l'argent dans les poches, elle en avertissait sa soeur, et lui disait:
«Où Jules prend-il cet argent-là? Tu ne veux pas le corriger; tu verras, ma soeur, qu'il nous causera beaucoup de chagrin quand il sera grand!»
Aussitôt que l'enfant sut écrire, il alla chez le libraire-papetier acheter des livres, des plumes, des crayons, du papier, au nom de son père; quand on présenta le mémoire de toutes ces fournitures à l'épicier, il s'étonna que son fils eût pu consommer tant de choses en une seule année de classe. Jules, interrogé, dit qu'il avait fourni du papier et des livres à de pauvres écoliers qui n'avaient pas d'argent pour en acheter; et sa mère le loua beaucoup de son bon coeur. Tante Monique ne se pressa pas de lui faire des compliments. Elle alla aux informations, et apprit que Jules vendait à bon marché à ses camarades ce qu'il prenait à crédit chez le libraire. Elle en avertit M. Longuet qui gronda son fils. Tante Monique ne trouvant plus rien dans les poches de Jules, le soir, ne comprenait pas ce que devenait l'argent qu'il se procurait par tant de moyens honteux; et l'enfant soutenait qu'il n'en avait pas.