CHAPITRE PREMIER-Au fond du terrier (5)
Comme cela n’avançait à rien de passer son temps à attendre à la petite
porte, elle retourna vers la table, espérant presque y trouver une autre clef,
ou tout au moins quelque grimoire donnant les règles à suivre pour se
fermer comme un télescope. Cette fois elle trouva sur la table une petite
bouteille (qui certes n’était pas là tout à l’heure). Au cou de cette petite
bouteille était attachée une étiquette en papier, avec ces mots « BUVEZMOI »
admirablement imprimés en grosses lettres.
C’est bien facile à dire « Buvez-moi, » mais Alice était trop fine pour
obéir à l’aveuglette. « Examinons d’abord, » dit-elle, « et voyons s’il y a
écrit dessus Poison ou non. » Car elle avait lu dans de jolis petits contes,
que des enfants avaient été brûlés, dévorés par des bêtes féroces, et qu’il
leur était arrivé d’autres choses très désagréables, tout cela pour ne s’être
pas souvenus des instructions bien simples que leur donnaient leurs parents :
par exemple, que le tisonnier chauffé à blanc brûle les mains qui le tiennent
trop longtemps ; que si on se fait au doigt une coupure profonde, il saigne
d’ordinaire ; et elle n’avait point oublié que si l’on boit immodérément d’une
bouteille marquée « Poison » cela ne manque pas de brouiller le cœur tôt
ou tard.
Cependant, comme cette bouteille n’était pas marquée « Poison » Alice se
hasarda à en goûter le contenu, et le trouvant fort bon, (au fait c’était comme
un mélange de tarte aux cerises, de crème, d’ananas, de dinde truffée, de
nougat, et de rôties au beurre) elle eut bientôt tout avalé.