CHAPITRE VIII Le croquet de la Reine (8)
« Ils ne jouent pas du tout franc-jeu, » commença Alice d’un ton de
mécontentement, « et ils se querellent tous si fort, qu’on ne peut pas
s’entendre parler ; et puis on dirait qu’ils n’ont aucune règle précise ; du
moins, s’il y a des règles, personne ne les suit. Ensuite vous n’avez pas idée
comme cela embrouille que tous les instruments du jeu soient vivants ; par
exemple, voilà l’arche par laquelle j’ai à passer qui se promène là-bas à
l’autre bout du jeu, et j’aurais fait croquet sur le hérisson de la Reine tout à
l’heure, s’il ne s’était pas sauvé en voyant venir le mien ! »
« Est-ce que vous aimez la Reine ? » dit le Chat à voix basse.
« Pas du tout, » dit Alice. « Elle est si – » Au même instant elle aperçut
la Reine tout près derrière elle, qui écoutait ; alors elle continua : « si sûre
de gagner, que ce n’est guère la peine de finir la partie. »
La Reine sourit et passa.
« Avec qui causez-vous donc là, » dit le Roi, s’approchant d’Alice et
regardant avec une extrême curiosité la tête du Chat.
« C’est un de mes amis, un Grimaçon, » dit Alice : « permettez-moi de
vous le présenter. »
« Sa mine ne me plaît pas du tout, » dit le Roi. « Pourtant il peut me baiser
la main, si cela lui fait plaisir. »
« Non, grand merci, » dit le Chat.
« Ne faites pas l’impertinent, » dit le Roi, « et ne me regardez pas ainsi ! »
Il s’était mis derrière Alice en disant ces mots.
« Un chat peut bien regarder un roi, » dit Alice. « J’ai lu quelque chose
comme cela dans un livre, mais je ne me rappelle pas où. »
« Eh bien, il faut le faire enlever, » dit le Roi d’un ton très décidé ; et il
cria à la Reine, qui passait en ce moment : « Mon amie, je désirerais que
vous fissiez enlever ce chat ! »