CHAPITRE III La course cocasse (3)
« Dans ce cas, » dit le Dodo avec emphase, se dressant sur ses pattes, « je
propose l’ajournement, et l’adoption immédiate de mesures énergiques. »
« Parlez français, » dit l’Aiglon ; « je ne comprends pas la moitié de ces
grands mots, et, qui plus est, je ne crois pas que vous les compreniez vousmême. »
L’Aiglon baissa la tête pour cacher un sourire, et quelques-uns des
autres oiseaux ricanèrent tout haut.
« J’allais proposer, » dit le Dodo d’un ton vexé, « une course cocasse ;
c’est ce que nous pouvons faire de mieux pour nous sécher. »
« Qu’est-ce qu’une course cocasse ? » demanda Alice ; non qu’elle
tint beaucoup à le savoir, mais le Dodo avait fait une pause comme s’il
s’attendait à être questionné par quelqu’un, et personne ne semblait disposé
à prendre la parole.
« La meilleure manière de l’expliquer, » dit le Dodo, « c’est de le
faire. » (Et comme vous pourriez bien, un de ces jours d’hiver, avoir envie
de l’essayer, je vais vous dire comment le Dodo s’y prit.)
D’abord il traça un terrain de course, une espèce de cercle (« Du
reste, » disait-il, « la forme n’y fait rien »), et les coureurs furent placés
indifféremment çà et là sur le terrain. Personne ne cria, « Un, deux, trois, en
avant ! » mais chacun partit et s’arrêta quand il voulut, de sorte qu’il n’était
pas aisé de savoir quand la course finirait. Cependant, au bout d’une demiheure,
tout le monde étant sec, le Dodo cria tout à coup : « La course est
finie ! » et les voilà tous haletants qui entourent le Dodo et lui demandent :
« Qui a gagné ? »