CHAPITRE II La mare aux larmes (2)
Pauvre Alice ! C’est tout ce qu’elle put faire, après s’être étendue de tout
son long sur le côté, que de regarder du coin de l’œil dans le jardin. Quant
à traverser le passage, il n’y fallait plus songer. Elle s’assit donc, et se remit
à pleurer.
« Quelle honte ! » dit Alice. « Une grande fille comme vous » (grande
était bien le mot) « pleurer de la sorte ! Allons, finissez, vous dis-je ! » Mais
elle continua de pleurer, versant des torrents de larmes, si bien qu’elle se vit
à la fin entourée d’une grande mare, profonde d’environ quatre pouces et
s’étendant jusqu’au milieu de la salle.
Quelque temps après, elle entendit un petit bruit de pas dans le lointain ;
vite, elle s’essuya les yeux pour voir ce que c’était. C’était le Lapin Blanc,
en grande toilette, tenant d’une main une paire de gants paille, et de l’autre
un large éventail. Il accourait tout affairé, marmottant entre ses dents :
« Oh ! la Duchesse, la Duchesse ! Elle sera dans une belle colère si je l’ai
fait attendre ! » Alice se trouvait si malheureuse, qu’elle était disposée à
demander secours au premier venu ; ainsi, quand le Lapin fut près d’elle,
elle lui dit d’une voix humble et timide, « Je vous en prie, Monsieur. » Le
Lapin tressaillit d’épouvante, laissa tomber les gants et l’éventail, se mit à
courir à toutes jambes et disparut dans les ténèbres.