CHAPITRE II La mare aux larmes (5)
Bientôt elle s’aperçut que l’éventail qu’elle avait à la main en était la
cause ; vite elle le lâcha, tout juste à temps pour s’empêcher de disparaître
tout à fait.
« Je viens de l’échapper belle, » dit Alice, tout émue de ce brusque
changement, mais bien aise de voir qu’elle existait encore. « Maintenant,
vite au jardin ! » – Elle se hâta de courir vers la petite porte ; mais hélas ! elle
s’était refermée et la petite clef d’or se trouvait sur la table de verre, comme
tout à l’heure. « Les choses vont de mal en pis, » pensa la pauvre enfant.
« Jamais je ne me suis vue si petite, jamais ! Et c’est vraiment par trop fort ! »
À ces mots son pied glissa, et flac ! La voilà dans l’eau salée jusqu’au
menton. Elle se crut d’abord tombée dans la mer. « Dans ce cas je retournerai
chez nous en chemin de fer, » se dit-elle. (Alice avait été au bord de la mer
une fois en sa vie, et se figurait que sur n’importe quel point des côtes se
trouvent un grand nombre de cabines pour les baigneurs, des enfants qui
font des trous dans le sable avec des pelles en bois, une longue ligne de
maisons garnies, et derrière ces maisons une gare de chemin de fer.) Mais
elle comprit bientôt qu’elle était dans une mare formée des larmes qu’elle
avait pleurées, quand elle avait neuf pieds de haut.
« Je voudrais bien n’avoir pas tant pleuré, » dit Alice tout en nageant de
côté et d’autre pour tâcher de sortir de là. « Je vais en être punie sans doute,
en me noyant dans mes propres larmes. C’est cela qui sera drôle ! Du reste,
tout est drôle aujourd’hui. »