CHAPITRE XII Déposition d’Alice (8)
–D’abord elle rêva de la petite Alice personnellement : – les petites mains
de l’enfant étaient encore jointes sur ses genoux, et ses yeux vifs et brillants
plongeaient leur regard dans les siens. Elle entendait jusqu’au son de sa
voix ; elle voyait ce singulier petit mouvement de tête par lequel elle rejetait
en arrière les cheveux vagabonds qui sans cesse lui revenaient dans les yeux ;
et, comme elle écoutait ou paraissait écouter, tout s’anima autour d’elle et se
peupla des étranges créatures du rêve de sa jeune sœur. Les longues herbes
bruissaient à ses pieds sous les pas précipités du Lapin Blanc ; la Souris
effrayée faisait clapoter l’eau en traversant la mare voisine ; elle entendait
le bruit des tasses, tandis que le Lièvre et ses amis prenaient leur repas qui
ne finissait jamais, et la voix perçante de la Reine envoyant à la mort ses
malheureux invités. Une fois encore l’enfant-porc éternuait sur les genoux
de la Duchesse, tandis que les assiettes et les plats se brisaient autour de lui ;
une fois encore la voix criarde du Griffon, le grincement du crayon d’ardoise
du Lézard, et les cris étouffés des cochons d’Inde mis dans le sac par ordre
de la cour, remplissaient les airs, en se mêlant aux sanglots que poussait au
loin la malheureuse Fausse-Tortue.